Il ne peut échapper à tout visiteur de certaines rues de la capitale, le nombre effarant des commerces anarchiques qui pullulent sur les trottoirs. Avec un simple carton et un socle en plastique en guise d'étal, ces petits commerçants vendent tout et n'importe quoi : des gadgets, des sucreries, des chaussettes...et récemment des vêtements de friperie à des prix qui défient toute concurrence. Chassés et réprimandés, ils s'enfuient pour revenir et reprendre leur activité. D'ailleurs, on les appelle souvent les « marchands à la sauvette » parce qu'ils se sauvent, le carton sous l'épaule et la marchandise dans un sac, dès qu'ils aperçoivent un agent de contrôle. Un jeu du chat et de la souris qui n'en finit pas et face auquel aucune solution ne s'est avérée efficace. Les règlements municipaux fléchissent devant un petit commerce qui fait vivre des familles entières et on lâche parfois du lest. Mais entre les plaintes des professionnels et l'obstination des marchands qui veulent eux aussi gagner leur pain, la situation est compromise.
Pas de capital ni bénéfice Ces commerçants s'installent près des marchés, des stations de métro et des zones piétonnes où les clients potentiels sont nombreux. Un petit stand démontable, une marchandise dont la valeur globale ne dépasse pas 50 dinars, et le tour est joué. La marchandise varie : des fruits et légumes, des boîtes de conserve, des accessoires, des vêtements utilisés...La plupart de ces marchands, n'ont ni capital ni notion de bénéfice. Ils se débrouillent pour avoir une petite somme d'argent, acheter la marchandise au gros pour la revendre après au détail. Comme en témoigne un commerçant de Sidi El Bahri, « le vendeur est en général endetté, il travaille au jour le jour pour ne pas rentrer bredouille le soir, il n'a pas l'intention de faire fortune. Il peut changer de marchandise et vendre autre chose à tout moment parce que son principal but est de subvenir aux besoins de sa famille ». Malgré les aléas, ils maintiennent leur activité parce que c'est tout simplement leur gagne-pain. Leur grande peur : les contrôles de la municipalité. Ils travaillent dans le stress et l'angoisse, la tête bien sur les épaules et les yeux grands ouverts, ils assurent leurs arrières pour ne pas se faire prendre. « j'ai un étal qui vaut à peine 50d, si par malheur je suis pris, je n'ai pas les moyens de payer une amende de 120 dinars et je ne veux pas aller en prison pour un mois. Souvent, je laisse l'étalage et je m'enfuis. Je suis ruiné mais ça ne m'empêche pas de recommencer à zéro. Quand je revois l'image de mes enfants me voyant rentrer sans pain ni paquet de lait, je préfère ne pas renter à la maison quitte à dormir dehors » confie C., un vendeur de fruits. Les marchands ne se lancent donc pas dans ce commerce périlleux pour spéculer et amasser des fortunes, c'est à peine s'ils récoltent une somme décente. Malgré les raisons convaincantes du recours au commerce anarchique, ce dernier reste un phénomène que la municipalité essaie de limiter. Les étalages anarchiques dérangent les professionnels, perturbent la circulation, faussent la concurrence et sèment le désordre. Les mesures prises consistent en la confiscation de la marchandise et une amende allant jusqu'à 120 dinars. Lors des rondes, les marchands à la sauvette se sauvent pour camper dans une autre rue. La municipalité se montre parfois indulgente, mais quand le désordre devient très gênant, elle est obligée d'intervenir.
Y a t il une issue? Mais tout cela ne résout pas le problème. Dès que les contrôles cessent ou se font rares, les commerces fleurissent à nouveau. C'est un interminable processus parce que ces gens n'ont pas d'autres alternatives, « le chômage les guette et le risque vaut mieux que le besoin. Moi personnellement ils ne me dérangent pas, à chacun sa part du marché. Je préfère qu'ils travaillent comme ça plutôt qu'ils viennent me chiper de la marchandise ou causer des problèmes ailleurs et importuner les gens. Au contraire ils créent une certaine dynamique et une ambiance qui attirent plus de clients et de chalands», explique un propriétaire d'un magasin du côté de Bab Jazira. Ainsi il ne suffit pas de les faire partir parce qu'ils finissent par revenir. « on a dit que des souks hebdomadaires abriteront les marchands ambulants au parking de l'Avenue Mohamed V et du Boulevard du 9 Avril , mais rien de cela n'est fait » témoigne Messaoud, un marchand ambulant.