J'ai lu dernièrement sur le site « business news », qu'un homme d'affaire chinois se proposait pour réaliser un grand projet touristique sur les côtes de Haouaria. Désormais, ce genre d'annonces est devenu très fréquent. En effet, il ne se passe plus quelques mois sans qu'on entende parler de projets similaires, et ce ne sont pas que des rumeurs, puisque les promoteurs en question arrivent même à obtenir des audiences avec de hauts responsables. Le plus souvent, ces projets intéressent des zones côtières vierges ou du moins, assez bien préservées jusqu'à aujourd'hui. Ces promoteurs font miroiter aux autorités tunisiennes des arguments auxquels elles sont très sensibles, comme des chiffres mirobolants d'IDE (investissements directs étrangers) et des milliers de postes d'emploi. Certains, comme l'Italien Préatoni, ont même le culot de prétendre préserver, voire mettre en valeur l'environnement. Alors, ces projets sont-ils vraiment de bonnes affaires ? Pas tant que ça, car à mon avis, ils présentent au moins deux inconvénients majeurs.
Le balnéaire et l'écologique D'abord d'un point de vue écologique, le tourisme balnéaire représente, avec l'industrie et l'urbanisme, l'une des principales causes de dégradation du littoral. Les Tunisiens de plus de quarante ans se souviennent sûrement combien toutes nos plages étaient magnifiques, il y a trente années de ça. Aujourd'hui ce n'est plus le cas pour la plupart d'entre elles, de Bizerte en passant par Tunis, Nabeul, Sousse, Sfax, Gabès et même Djerba. Certaines plages qui avaient fait le bonheur de notre enfance sont devenues carrément impropres à la baignade, comme celle du « sport nautique » à Bizerte, de la Goulette, du port de Sidi Bousaid ou de Hammam lif !Plusieurs problèmes environnementaux ont été signalés dans les principales zones touristiques et qui sont la conséquence directe de la surexploitation de l'espace côtier et l'implantation incontrôlée et non étudiée de certaines unités hôtelières. Les aménagements touristiques réalisés ont nécessité la mobilisation d'une masse importante de terrain sur le littoral pour les besoins des unités hôtelières et de l'infrastructure de base comme les aéroports, les routes, les parkings et les stations d'épuration des eaux usées. Enfin la concentration des constructions sur les dunes bordières à proximité des zones touristiques favorise la dynamique de l'érosion marine dans certains secteurs du littoral. Seules quelques régions en Tunisie ont échappé à ce fléau, comme le bout du cap-bon ou la cote extrême Nord et ce sont celles là même qui sont maintenant visées par ces nouveaux projets. Je crois franchement qu'on devrait penser un peu aux générations futures et leur laisser un minimum de littoral préservé.
Surcapacité d'offre non diversifiée D'un point de vue économique, je croyais que les autorités tunisiennes avaient fini par admettre le mauvais rendement du tourisme balnéaire de masse tel qu'il est pratiqué chez nous. Selon un rapport de l'Agence de Notation Fitch Ratings, on a relevé que la stratégie de croissance tous azimuts qui a prévalu pendant des décennies en Tunisie, a abouti à une surcapacité d'offre non diversifiée. Cette surcapacité a amené les hôteliers à dépendre de plus en plus des tours opérateurs internationaux pour la commercialisation du produit touristique tunisien. Le rapport de Fitch Ratings a précisé que l'émergence de destinations concurrentes, favorisées par le développement du Low Cost du transport aérien a renforcé les difficultés des opérateurs tunisiens à s'imposer, les conduisant à baisser les prix et à les brader, afin de pallier le taux d'occupation trop bas, aux détriments de la qualité du service. L'objectif étant de faire du remplissage, quitte à décevoir les touristes, dont le taux de retour devient faible et même avec une tendance baissière, comme les touristes allemands. Les hôtels tunisiens ont un faible niveau de rentabilité, affectant leur solvabilité et la qualité de leurs services, qui sont devenus médiocres, ce qui a causé la régression des marchés traditionnels, -10,8% pour les Britanniques, -9,2% pour les Espagnols, -6,1% pour les Allemands et -4,3% pour les Italiens pour l'année 2007. Cela a engendré la perte de l'image de marque de la Tunisie au profit de ses concurrents traditionnels tel que le Maroc par exemple. La Tunisie ayant opté pour un tourisme de masse et le Maroc pour un tourisme de qualité et de haut de gamme. C'est ainsi qu'on voit débarquer chaque année plusieurs millions de touristes, fauchés pour la plupart, ayant choisi la formule du « all inclusive » achetée à vil prix, n'offrant pas de retombées économiques indirectes. Ils vont, en plus, consommer avec nous les produits subventionnés alimentaires et énergétiques, gaspiller notre eau au plus fort de la période sèche et doubler la pollution. Je peux comprendre qu'on continue à exploiter l'infrastructure déjà existante, mais je comprends mal qu'on veuille réitérer et conforter les choix erronés du passé. En plus, ces nouveaux projets seront construits loin des centres urbains selon le modèle, désormais, désuet du « club med » dans la plus pure tradition du « bronzage idiot ». Les malheurs de notre tourisme viennent du fait qu'il n'est pas diversifié (essentiellement balnéaire) et en surcapacité, or ces nouveaux projets vont aggraver ces tendances. Les encourager serait un non-sens pour ne pas dire suicidaire. Par ces temps de crise, les gouvernements du monde entier sont aux abois, prêts à tout ou presque, pour glaner des investissements. Mais puisqu'on nous dit que l'économie tunisienne a été relativement épargnée par la crise, il faudrait peut-être bien réfléchir avant de s'engager dans des projets aux bénéfices limités mais aux inconvénients certains et durables, voire définitifs. Depuis le temps qu'on entend critiquer le tourisme balnéaire de masse, et notamment par les autorités officielles tunisiennes, on ne voit cependant pas venir les solutions. Pour faire simple, on peut schématiser les problèmes essentiels de notre tourisme comme suit; Il y a d'abord la mauvaise qualité du service hôtelier (alors que l'infrastructure est assez bonne) dont l'origine remonte, à mon avis, à la formation du personnel et plus particulièrement l'inadéquation flagrante entre les capacités de bonne formation et le nombre important et sans cesse croissant de personnel requis par le tourisme de masse qui est le nôtre. La qualité est pratiquement toujours inversement proportionnelle à la quantité, c'est quasiment une loi de la nature, quand le comprendrons-nous en Tunisie? Et comme on ne crée pas les bonnes écoles par un claquement de doigts ni par une baguette magique et que notre capacité à former du bon personnel est limitée, il ne fallait pas encourager la prolifération des hôtels de façon inconsidérée, sachant qu'ils ne trouveront pas du personnel qualifié à embaucher!
Solution de facilité Ceci nous amène automatiquement sur le deuxième problème celui de la surcapacité, et là, la Tunisie a choisi la solution de facilité. Nous avons un beau littoral , allons y construisons le maximum d'hôtels aux abords des plages. C'était trop facile et trop bête aussi, car il fallait le commercialiser ce produit touristique tunisien qui, par ailleurs, était devenu de moins en moins attractif au fil du temps! L'abondance de l'offre due à cette surcapacité a automatiquement entraîné la chute des prix et mis les hôteliers tunisiens à la merci des tours opérateurs étrangers. Ce que les autorités tunisiennes auraient dû faire, au lieu d'encourager l'augmentation de l'offre, c'était justement de promouvoir la commercialisation de cette offre, par exemple par la création d'un organisme semi-publique, en collaboration avec la fédération de l'hôtellerie, chargé de cette commercialisation. Ce serait une sorte de tour opérateur spécialisé dans la promotion de la destination Tunisie et à qui on donnerait les moyens pour la publicité et tous les efforts nécessaires à cette promotion. Enfin, concernant la diversification de l'offre touristique, on n'a pas fait preuve d'une grande imagination. Il y a eu quelques efforts mais toujours portant sur l'infrastructure, tels les très coûteux centres de thalasso ou les parcours de golf très gourmands en terrain et surtout en eau, ce qui n'est pas très recommandable pour un pays semi-aride. Ce qu'on devrait faire par contre, c'est la mise en valeur de notre patrimoine culturel à l'instar de ce que font l'Egypte et le Maroc, entre autres. A titre d'exemple, j'ai vu qu'une agence touristique de la place, organisait des virées pendant les week-ends pour les Tunisiens, avec des thèmes très intéressants (la route des vins, la route des agrumes au Cap-bon...), cette idée devrait être généralisée à tous les touristes et pour ce faire il faudrait former beaucoup de guides compétents et polyglottes, plutôt que d'investir dans la pierre. Je suis sûr que bon nombre de nos professionnels ne manquent pas d'idées, il faudrait juste les encourager et les encadrer. Mais de grâce, ne construisons plus d'hôtels au bord de la plage !