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" L'apprentissage ne se fait que dans un contexte de foisonnement d'opinions contradictoires " Journée internationale de la liberté de la presse : Larbi Chouikha professeur à l'IPSI)
A l'occasion de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse, nous avons invité M. Larbi Chouikha professeur à l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information (IPSI). Il nous parle du secteur de l'information et des réformes à accomplir pour sa promotion. Interview. Le Temps : Plusieurs rapports publiés à l'occasion du 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, mettent l'accent sur les dysfonctionnements et les insuffisances qui caractérisent le paysage médiatique en Tunisie. A votre avis, que faut-il faire pour insuffler à ce secteur plus de transparence, d'équité et de dynamisme ? Larbi Chouikha : Tout dépend, d'abord, de l'éclosion d'une réelle volonté politique de l'Etat. Car, et c'est un truisme de le dire, dans notre pays rien ne peut se faire si l'Etat n'est pas persuadé de la nécessité du changement, qu'il soit déterminé à le conduire, et s'il ne prend pas, lui-même, l'initiative de l'impulser en profondeur! Donc, dès lors que cette volonté existe et qu'elle est animée de bonnes intentions, je pose ensuite deux préalables qui devraient servir de soubassement à toute volonté de changement dans ce domaine : D'une part, nous devons adhérer au principe sacro saint que la libre expression et la libre circulation des informations, des idées, des opinions - fussent-elles minoritaires - constituent l'essence même de notre citoyenneté. D'autre part et sur cette lancée, il faut accepter l'idée fondamentale que le secteur des médias ne peut évoluer et se développer en demeurant sous la tutelle des pouvoirs, en l'occurrence, du pouvoir politique ; car, il subira nécessairement les aléas du politique, voire, des soubresauts du clientélisme.
Crédibilité et autonomie, deux facettes d'une même médaille Autrement dit, les autorisations de paraître, d'émettre, de diffuser, mais aussi, de se déployer dans le monde des médias en général,... ne peuvent être décidées et édictées par une structure politique telle que celle incarnée par l'Etat. Normalement et en dehors des enjeux politico personnels ; seule une instance - publique - peut assumer cette fonction. Et pour qu'elle s'acquitte correctement de sa mission, cette instance doit, à la fois, être crédible aux yeux de tous les citoyens en regroupant en son sein les représentants des courants d'opinions dominants qui traversent notre société, et - effectivement autonome - des pouvoirs en place en se dotant de moyens propres pour perpétuer et garantir son autonomie. Il faut admettre que, autonomie et crédibilité, sont intimement liées ; toutes deux découlent d'une réelle conviction personnelle et collective et donc, elles ne se décrètent pas ! Si ces principes sont acceptés, nous pouvons dès lors, faire des suggestions ou des propositions en vue de promouvoir ce secteur sur des bases consensuelles, au nom des principes de liberté et d'égalité pour tous les citoyens.
Lesquelles ? Tout d'abord, je pense que notre pays a besoin d'un observatoire national des médias qui fasse à la fois un travail de collecte, de recensement et de traitement de données factuelles et un travail d'analyse et de prospection, et cet effort portera sur les médias classiques (presse, radio, télévision) et s'étendra aussi aux nouvelles technologies de communication, Internet, le téléphone mobile, etc. Car, je constate que notre secteur manque terriblement d'informations brutes sur tous les aspects humains et techniques qui le constituent ; et si toutefois ces données existent bel et bien, elles ne sont - malheureusement - pas à la portée de tous. L'objectif de cet observatoire serait donc de servir de phare tant pour les décideurs politiques que pour les experts et spécialistes des médias en vue d'entretenir et d'enrichir la réflexion sur le présent et le devenir de nos médias, tous confondus. Il faudrait par conséquent que toute la production qui provient de cet observatoire soit aisément accessible et portée à la connaissance du public. Par ailleurs, pour la presse écrite, l'autorisation de publier devrait à mon sens, s'aligner sur le régime déclaratif, ce qui revient à abroger une fois pour toute l'obstacle du récépissé, qui est devenu un moyen destiné à gratifier les uns et à sanctionner les autres, ce qui constitue une attitude inégalitaire entre les citoyens. Et si cette suppression venait à se produire, je suis persuadé qu'elle créerait dans le monde de la presse un déferlement de potentialités et d'énergies créatives qui aurait des retombées dans le monde des idées et de l'innovation et ce, par le jeu de la concurrence qui s'établirait Enfin, pour le droit d'émissions et de diffusion des stations radios et des chaînes de télévision, celui-ci ne peut être défini, appliqué et réparti - équitablement - que par une instance publique de régulation, à l'instar de ce qui existe déjà dans plusieurs pays comme au Maroc. Le principe fondamental qui sous-tend l'audiovisuel est, que celui-ci, doit être une maison de verre, c'est-à-dire que toutes les modalités et les procédures d'application et de répartition des fréquences doivent être connues de tous, mais aussi, les délibérations au sein de cette instance doivent être frappées du sceau de la transparence. Et dans plusieurs pays démocratique ou en transition, c'est précisément cette instance qui intervient en période électorale pour répartir - équitablement - le temps de parole des candidats et pour veiller au respect scrupuleux des principes éthiques.
Et que deviendrait donc le Conseil Supérieur de la Communication ? Je vous avoue que je ne sais trop ce qu'il fait actuellement, ce qu'il produit effectivement ! Je sais que c'est une instance consultative auprès de l'exécutif dont les activités et les propositions qu'il avance, ne sont pas connues du large public. Je ne porte pas de jugement sur sa composition, et quelques uns des membres sont mes amis, mais je constate que la perception que nous, publics, avions de cette instance, est plutôt insignifiante. Et j'ai beaucoup de crainte que la mission qui lui a été dévolue pendant la prochaine campagne électorale ; de " superviser " les prestations télévisées des candidats, n'altère encore plus son image. En tout cas, si les conditions politiques le permettent réellement, je souhaite qu'une sorte d'assises nationales des médias auxquelles se joindraient opposition et société civile indépendante, soient organisées en vue de donner à ce secteur des bases consensuelles, y compris pour le respect des principes déontologiques et la création d'un mécanisme de contrôle dans ce sens. Mais encore une fois, tout dépend de la volonté politique de l'Etat et la manière par laquelle elle s'exprimera!
Et ne craignez-vous pas des débordements et des dérapages ? Ces risques me paraissent inévitables au début, bien que le recours aux tribunaux demeure toujours possible, mais je mise davantage sur une maturation des mentalités, tant celles des gouvernants que celles des gouvernés. Mais à la longue, je suis persuadé que le bon sens, la responsabilité et la retenue l'emporteront car, aucun des acteurs n'a intérêt qu'une expérience réellement pluraliste, à l'instar de ce que nous avions connue par le passé dans les années 1977, n'échoue encore. Et de plus, je reviens à mon principe de départ que l'apprentissage et l'inculcation des usages de la liberté ne s'acquièrent que dans un contexte de foisonnement des opinions contradictoires, voire totalement opposées. Et l'opinion publique, soubassement de toute vie démocratique citoyenne, ne peut se former, s'éclore et s'épanouir que dans des conditions de débats contradictoires et de libre expression.