Pour célébrer le premier jour de Mouharram de l'Hégire, partout en Tunisie, on prépare le fameux couscous à la viande séchée du mouton de l'Aïd (kaddid, merguez et osben séché), bien ornementé avec des pois chiches, des amandes, bonbons, des dattes, œufs durs etc, un plat typiquement tunisien pour rendre hommage à l'immigration de notre Prophète de la Mecque vers Yathreb (La Médine actuellement). A Nabeul, en plus du couscous au kaddid, les habitants de cette ville cultivent depuis des décennies une tradition ancestrale aux saveurs méditerranéennes. Il s'agit des fameuses poupées de sucre qui ornementent le methred de Ras El Âam (un plat en poterie colorée et émaillée rempli de friandises et de fruits secs). Reportage. A l'approche du 1er Mouharram de l'Hégire, chaque année, en face de souk el Balgha à Nabeul, et du côté du Bhaïer, des commerçants installent leurs étalages ainsi que des tentes pour exhiber les poupées de sucre et des figurines fabriquées avec du sucre alimentaire ou en chocolat ainsi que les fruits secs et les friandises qui finissent en général dans le methred de Ras El Âam. Certes, d'habitude cette activité commerciale a toujours accompagné les festivités du festival des poupées de sucre organisé par l'Asvn (Association pour la sauvegarde de la ville de Nabeul), mais cette année, les enfants de la ville ainsi que les adultes ont été privés de l'ambiance et de la dynamique culturelle qu'induisaient ces festivités. Origines de cette tradition ? D'après Yahia El Ghoul, professeur universitaire en histoire contemporaine : «Dans nos traditions, les enfants de sexe masculin célèbrent cette fête avec des poupées de sucre en forme de coq et de cheval. Tandis que pour les filles, on achète les poupées de sucre et les figurines qui symbolisent les mariées, une gazelle et les poissons». Il renchérit : «La coutume veut que ces figurines soient consommées le jour de la «Achoura». Et pour les nouveaux mariés et les nouveaux fiancés, il est impératif que le mari ou bien le fiancé achète une poupée de sucre et l'offre avec un Methred. Concernant les origines de cette tradition, aucune étude scientifique ni publications historiques ne peuvent déterminer l'origine exacte de ces figurines. Certes, certains soutiennent la thèse que ces poupées de sucre dérivent de l'île de Sicile, où on trouve les traditions de la fabrication des poupées de sucre pour les fêtes religieuses telles que celles de Pâques et de la Toussaint. Mais cette hypothèse qui reste non confirmée et même infondée par les recherches académiques, laisse planer un nuage de mystère sur les origines de cette tradition». De son côté, le professeur universitaire Naceur Ayed voit les choses autrement : «La fabrication des poupées de sucre est enracinée dans la culture nabeulienne. Si plusieurs soutiennent qu'elle existe depuis le début du 20e siècle, d'autres affirment que ce sont les juifs nabeuliens qui ont instauré cette tradition». Décorer le methred de Ras El Âam Le vendredi, la veille de Ras El Âam (premier Mouharram de l'Hégire 1433), nombreux étaient les pères et les mères de familles accompagnés de leurs enfants au souk pour acheter une poupée de sucre comme en témoigne Karim Aloui : «Cette ambiance est typiquement nabeulienne. Je suis originaire de Kairouan et chez nous on fête Ras El Âam différemment. Mais j'avoue que l'ambiance qui accompagne les poupées de sucre est très conviviale. Les enfants l'adorent et ils ont adopté cette tradition au fil des années. Chacun doit avoir sa propre figurine, une poupée pour Sana ma fille et un cheval pour Ahmed. Même ma femme Saloua adore que notre methred soit ornementé par une grande poupée et soit placé sur notre table de la salle de séjour». De son côté, Aïmen, fonctionnaire et nouveau fiancé nous a déclaré : « Je suis venu en compagnie de ma mère pour acheter une poupée de sucre afin de l'offrir avec un methred à ma fiancée. Dans nos traditions, le premier Mouharram, le fiancé rend visite à ses futurs beaux parents et doit présenter un joli methred avec une très belle poupée qui doit être grande et attrayante. Cette pratique est aussi à appliquer chez les nouveaux mariés». Anis , un vendeur de poupées de sucre ajoute : «Le plus beau dans toute cette histoire c'est que les figurines de sucre sont faites pour séduire tous les genres et tous les goûts et satisfaire les bourses de tous les ménages. Il y a des petites poupées à 1D500 et des grandes dont le prix peut atteindre les 20DT. A comparer avec les années précédentes, cette année on a enregistré une baisse dans les ventes car les activités parallèles du festival ainsi que l'animation de Nejib Guibane et Cie entraînaient une sorte de dynamique dans le souk. Nul ne peut nier l'apport du festival car ça booste notre activité qui reste une activité saisonnière. Mais en somme, on est satisfait de l'ambiance de cette année car après la période d'insécurité qu'a connue la Tunisie, personne d'entre nous commerçants n'imaginait une seconde que tout allait se passer dans le calme et la sérénité et surtout dans la joie et l'allégresse des enfants ». Enfin M. Yahya El Ghoul a tenu à préciser que «l'important dans la célébration de Ras el Âam pour le Nabeulien est beaucoup plus le methred que la poupée de sucre. Ces figurines de sucre sont une composante parmi d'autres pour décorer le methred». Assurément du côté de la ville de Nabeul comme c'est le cas dans d'autres pays : le Mexique, la Chine, l'Argentine, la France, l'Espagne, le Portugal, L'Egypte (au Mouled), l'Italie, la Syrie et le Liban, où on y perpétue jusqu'à nos jours de telles traditions, les poupées de sucre restent un excellent symbole jovial et rassembleur ! Voilà une tradition à saluer et à conserver !