* Un meuble acheté à 100 dinars par le brocanteur est revendu entre 800 et 1000 dinars ! En optant pour le neuf et le moderne, les ménages assez aisés, encouragés par l'organisation des foires et des promotions accordées par les commerçants des meubles, ne jettent plus au grenier ou dans un garage leur vieux mobilier, détérioré ou tout simplement démodé, mais préfèrent le confier à des brocanteurs qui l'achètent à un prix très bas qui ne correspond même pas au 1/10è de son prix original. Dans ces boutiques de brocantes qu'on rencontre partout dans les villes comme dans les quartiers populaires, on peut aussi trouver des articles relativement neufs, n'ayant qu'un an ou quelques mois d'existence qui ont été cédés à des prix dérisoires à ces brocanteurs par des Tunisiens ou des étrangers pressés de liquider leurs biens mobiliers pour cause de départ ; au lieu de les jeter, ils sont contraints à accepter le prix offert par ces commerçants qui semblent tirer un grand profit de ce genre de transaction. Il n'y a pas de spécialisation chez ces brocanteurs ; ils vendent tout ce qui est d'occasion et qui peut encore servir ; des chambres à coucher, des salles à manger, des salons, des lits pour bébé, des chaises en bois ou en plastic, des abats jour, des lustres, des armoires, des placards et même des tableaux de peinture, des tringles, des buffets et des divans… « Mes clients sont de pauvres gens » Le commerce de meubles d'occasion a l'air de passer pour un commerce de subsistance, localisé généralement dans les quartiers et fréquenté par une clientèle modeste. Ces commerçants sont très habiles dans la séduction de leurs clients ayant recours à l'éloquence orale et gestuelle. Ils tentent de capter et de fidéliser une clientèle même occasionnelle. Mais souvent l'étalage qu'ils font de leurs marchandises devant leurs boutiques et sur les trottoirs constitue une publicité directe à leur commerce. Aussi, n'est-on pas étonné de constater que certains brocanteurs sont obligés de « faire la publicité » de leurs marchandises de bouche à oreille dans les cafés ou en chargeant d'autres commerçants du quartier (un épicier, un coiffeur…) de la propagande pour une chambre à coucher ou un salon Louis XV « en bon état » à vendre à un prix « dérisoire ». Dérisoire ? Certes. Mais a-t-on pensé au bénéfice réalisé par ces brocanteurs en revendant leurs articles ? Il faut tout simplement multiplier le prix de revient par dix pour certains articles. Un meuble acheté à 100 dinars par le brocanteur est revendu, après retapage et vernissage, facilement entre 800 et 1000 dinars ! A ce propos, une dame nous a confié : « Quand on veut se débarrasser d'un meuble encombrant ou vétuste et démodé, les brocanteurs proposent des prix qui ne représentent même pas le 1/10è du prix réel du meuble. J'ai acheté, il y a deux ans, cette salle à manger composée d'une table et de six chaises en bois massif à 1850 dinars, quand j'ai voulu la revendre à un brocanteur, il m'a proposé la bagatelle de 150 dinars, alors que les pièces ne présentent aucun défaut. Je suis sûre que cette même salle à manger sera revendue par ce brocanteur à 1000 dinars au moins ! ». Cependant, la plupart des brocanteurs considèrent que ce commerce d'occasion est destiné essentiellement aux indigents et aux familles à revenus faibles, comme nous l'a confirmé ce vieux brocanteur installé depuis des années dans un quartier populaire : « Mes clients sont ces pauvres gens qui n'ont pas les moyens pour s'offrir des meubles neufs qui se vendent très cher, des célibataires qui habitent seuls viennent acheter quelques meubles pour un appartement loué, des enseignants vivant loin de leurs familles viennent également acheter quelques articles qui leur sont utiles pendant l'année scolaire et qu'ils viennent revendre chez moi fin juin. En été, la clientèle est formée souvent de ces estivants qui ont toujours besoin d'une table ou de quelques chaises ou lits supplémentaires au cas où ils recevraient des invités chez eux. En cours d'année, les clients se font rares et les ventes sont occasionnelles et souvent à la demande. » Brocanteurs et antiquaires à la fois ! Mais, ces boutiques de brocanteurs n'abritent pas seulement des articles de seconde main, abandonnés par leurs propriétaires pour une raison ou une autre, elles peuvent contenir des objets de valeur, comme ceux qu'on voit chez les collectionneurs et les antiquaires, appartenant à d'époques anciennes que certains clients peuvent dénicher parmi ces articles entassés pêle-mêle dans ces boutiques pareilles à la grotte d'Ali Baba. Ces objets « précieux » sont généralement destinés à des clients particuliers qui apprécient la valeur des choses : « Parfois, nous confie un brocanteur, il s'agit d'une pendule qui date du 19è siècle, de bibelots décoratifs ou d'objets d'art très prisés. Il y a des gens qui apprécient ces articles et ne lésinent pas sur le prix car ils savent qu'ils sont vendus plus chers chez un antiquaire ! Chaque fois que je tombe sur des objets de ce genre, je téléphone à ces clients intéressés ! » Ainsi, l'expression « objets d'occasion » n'apparaît pas toujours comme systématiquement dépréciative aux yeux de certains clients, amateurs de vieux objets ! Vu de cet angle, le commerce de la brocante n'est pas réservé seulement à une clientèle nécessiteuse, mais en offrant certaines variétés d'articles, il cible aussi une catégorie de gens plus aisée. Il est difficile de quantifier la valeur des échanges ou de déterminer leur chiffre d'affaires, même approximativement. Quelques indices donnent néanmoins une idée sur la fréquence des ventes : cela dépend de l'état de l'objet, de la nature des clients, des prix pratiqués et de la saison et des circonstances de la transaction. Pour ces commerçants, il y a des périodes de mévente, surtout en hiver, et c'est surtout la saison estivale qui est la plus propice, comme nous l'a fait savoir ce brocanteur : « Dernièrement, j'ai tout acheté des enfants d'une vieille dame qui venait de décéder. A vrai dire, le mobilier était vétuste et exigeait un peu de réparation, mais les vendeurs n'étaient pas très exigeants et ils ont accepté le prix que j'ai proposé ! Il paraît qu'ils étaient pressés et qu'ils voulaient liquider tout l'héritage ! Ce sont là les véritables occasions dont il faut profiter ! Quant à la revente de ces meubles, on peut les revendre soit en détails (séparément) soit en gros (tout à la fois). Ça dépend du client. Mais la plupart du temps, ils sont revendus séparément, et dans les deux cas, ça nous arrange ! Mais, je vous dis franchement que c'est un commerce de hasard ; les ventes ne sont pas quotidiennes ; elles sont plutôt occasionnelles, depuis que les commerçants du mobilier neuf accordent des facilités de payement et les banques octroient des prêts pour l'achat des meubles, notre commerce a régressé ! » Hechmi KHALLADI ---------------------------------------------- Quel est le statut d'un brocanteur ?
La brocante est–elle classée parmi les activités commerciales ou artisanales ? A vrai dire, aucune réponse n'est fournie par la législation tunisienne. L'article Premier du décret n°94-492 du 28/02/1994, (Complété par le décret n°96-2229 du 11-11-1996) relatif aux métiers d'artisanat donne la liste de tous les métiers artisanaux (tissage, bois, cuir, verre, argile, métaux divers…) De là, on peut exclure toute personne s'adonnant à la vente d'objets d'occasion qu'il soit professionnel ou particulier même à titre occasionnel. Ainsi, les brocanteurs, les antiquaires, les bouquinistes sont tout simplement qualifiés de revendeurs de vieux objets. Par conséquent, ils ne peuvent être classés qu'en tant que commerçants, quoique leur métier contribue d'une certaine manière à la sauvegarde de l'artisanat et du patrimoine national. Cependant, les textes de loi régissant et organisant ces métiers de revendeurs sont encore absents chez nous ! De même, aucun organisme groupant ces revendeurs d'objets vieux ou anciens n'existe à présent, à l'instar d'autres pays, où il y a des associations pour brocanteurs et antiquaires chargées de mettre un peu d'ordre dans ces métiers qui pourraient contribuer à la sauvegarde du patrimoine culturel et à la promotion des arts.