Le dernier long métrage « la boîte magique » (çunduq Ajab) du cinéaste tunisien Ridha Béhi que projettent trois salles du pays, nonobstant ses qualités techniques et esthéti-ques évidentes, pose problème. Et quand on écrit pose problème, ce n'est pas dans le sens d'équivoque ou de litige mais dans son sens philosophique comme qui dirait « poser une question ». Entre nous soit dit, le film de Behi reprend la question que d'autres cinéastes tunisiens et arabes avaient posée. Cette question est celle du « MOI »… La culture arabo-musulmane n'a pas d'atomes crochus avec le moi dont elle fait tout un plat quand la psychanalyse en fait, à juste titre, son choux gras. Parler de soi dans notre culture n'est pas seulement mal vu, mais c'est aussi non entendu. A chercher dans les titres qui ont fait les belles pages de la littérature arabe classique, on trouverait peu d'œuvres qui ont fait du moi leur centre d'intérêt. Ne dit-on pas « qu'Allah nous préserve du Moi ». Jetons un bref coup d'œil sur la littérature classique arabe et nous verrons que de la poésie Anté-islamique jusqu'à la Nahdha, l'individu n'existe que par et dans sa communauté, même si certaines périodes de l'histoire de la littérature arabe (particulièrement le soufisme) ont marqué une tendance à l'éloge du moi et à son élargissement. Seulement, ce moi, d'après Freud et Lacan après lui, est en réalité un « surmoi » ou un moi caché… Que ce soit un moi ou un surmoi caché, l'un est dans l'autre et la domination du collectif communautaire sur l'individu est sans relâche… Ceci n'enlève rien à la qualité de la chose littéraire arabe de par les siècles. De par le monde de la création, cette subordination est entendue dans toutes les cultures jusqu'à la renaissance européenne où la particularité va dorénavant prendre du poil de la bête.. Et la littérature, la peinture, bref, les arts vont lui emboîter le pas… L'image traîtresse La prédominance du moi sera d'autant plus vraie que l'image en devient un élément porteur de connaissance, un véhicule non seulement de charge sentimentale mais aussi de savoir. Si le cinéma européen au départ, puis occidental dans son ensemble par la suite avaient fixé l'idée du regard spécifique comme étant une parole du moi, le cinéma arabe et parce qu'il est resté prisonnier de la domination du collectif n'a cessé d'être le porte parole du collectif… par là même où ce collectif pêche : la négation du moi. N'est-ce pas le sens de la complainte de Chahine avec « Alexandrie pourquoi ? » quand il hurlait : « J'ai parlé des autres pendant plus de vingt ans… Laissez-moi au moins parler de moi-même maintenant»… C'est avec ce film que l'auteur du « Moineau » a déverrouillé tous les complexes qui ont alimenté sa création… et ce sont d'autres films qui vinrent sur cette lancée, des films faits par d'autres auteurs dont Yousri Nasrallah (Vols d'été)… Et ce n'est pas sans raisons que ces auteurs proviennent de la zone chrétienne de la culture arabe… Ailleurs, dans le monde arabe, les films qui parlent ouvertement du moi ne sont pas légion. Avec « Wachma » du marocain Hamid Bennani., « Tahya ya Dido » de l'algérien Mohammad Zinet, « Les sabots en or » de Nouri Bouzid, et quelques autres titres qui ne dépassent pas les doigts des deux mains, il ne faudra pas couper les cheveux en quatre. On peut voiler la parole sur soi puisque toute image voilée est traîtrise… mais quand on y va tout de go dans le traitement de soi, il y a encore chez nous une « hechma » qui freine. Et c'est là où le bât blesse et c'est par là que « la boite magique » ouvre sur de nouveaux horizons. Cocteau disait une fois que « ce que le public réprouve, cultive-le. Parce que c'est TOI » Certaines cinéastes arabes cultivent leur moi… et le public ne suit pas encore. Pourquoi ? Va savoir !