Le New York Times écrit ceci : « L'un des plus graves dangers auxquels les Américains sont confrontés, vient de tueurs de chez nous, équipés d'armes que l'on peut se procurer avec une terrifiante facilité ». Pour sa part, Le Times est d'un réalisme apocalyptique : « La vérité c'est que seul un optimiste peut s'imaginer que Virginia Tech va conserver très longtemps ce nouveau record », écrit l'éditorialiste Gerard Baker. Loin des épanchements émotionnels, ces deux réflexions renvoient à la face de l'Amérique et à la face du monde, cette violence viscérale, coulant dans les veines des Américains. Le rêve américain – et dont Le Monde écrit que c'est, désormais, un « rêve défiguré » - caressé du creux de la main par les pionniers, mais tout de même, réalisé au bout d'un génocide dans les règles à l'endroit des Indiens et maculé du sang versé durant des années d'impitoyable guerre de sécession, eh bien, aujourd'hui, ce rêve prend les traits d'un destin ricanant. Il n'y a pas que le glaive satanique d'un Ben Laden qui puisse trancher la tête à deux mythiques Tours Jumelles. Le péril vient de l'intérieur. Cette société convulsive, prise de névroses en tous genres, et qui n'a guère de sens de la citoyenneté révèle un paradoxe : l'Amérique s'est fabriqué un rêve, mais n'a pas su se forger une identité. « Des tueurs de chez-nous »... Constat lourd d'avenir et, surtout, lourd de passé. En d'autres termes, que fera Georges W.Bush pour combattre cette forme récurrente de « terrorisme » ? Discours confus, vague, imprécis : il ne promettra pas à l'Amérique l'immunité comme celle promise contre le terrorisme d'Al Qaïda. Il ne pourra pas réinventer un Saddam pour détourner l'attention de ses concitoyens. C'est un danger « intra-muros », un danger institutionnalisé parce que protégé et garanti par la Constitution. Derrière tout honnête citoyen se cache un criminel potentiel. Cette accessibilité aux armes à feux est dans la culture américaine. La mythologie d'un inspecteur Callaghan, jouant aux cow-boys en plein New York pour tuer les méchants ; ou encore la vengeance renfermée que distille calmement un Charles Bronson dans « Le justicier » : l'Amérique manichéenne vit écartelée entre le bien et le mal, entre ce côté dépravé, et ce côté puritain ; entre ses Serial Killer, incarnations vivantes de ses démons, et ses anges gardiens qu'incarnent les éléments de son système judiciaire, depuis la police, en passant par le procureur jusqu'au juge qui instruit un procès selon le système accusatoire*, avant de laisser les membres du jury se prononcer sur la culpabilité ou sur l'innocence. C'est cela aussi cette Amérique interdite : le système met face à face d'honnêtes citoyens et des citoyens mauvais. Et, les premiers jugeront les seconds. Peut-être, en leur âme et conscience. Sans doute, selon ce qu'ils jugent être juste. Mais, certainement, sans repères précis : une société cosmopolite, composite, qui exalte les vertus du communautarisme, qui peut assister en direct à l'exécution d'un criminel, cette société là vit en intimité avec la violence, comme un roman des origines. Lorsqu'un garçon de 18 ans peut légalement s'acheter une arme, et qu'il tue frénétiquement et quand ce scénario macabre se répète près de 30.000 fois chaque année, eh bien, qu'il s'appelle Bush, Clinton, Lincoln ou Nixon, le président américain a tout intérêt à redescendre sur terre. A comprendre ce qui se passe dans les bas-fonds de New York ou sur un campus en Virginie, plutôt que de s'égosiller à nous marteler qu'il combattrait le terrorisme où qu'il se trouve. Le terrorisme américain est quotidien. Il est à ses portes. Et ce sont les cartels de l'armement qui feront tout pour que 30.000 agressions à l'arme à feu par an ne « baissent » pas d'une seule unité. A son accession à la présidence, John Kennedy déclarait : « Nous avons changé le monde, maintenant, changeons l'Amérique »... Depuis, l'Amérique a défiguré le monde et elle n'a pas changé pour autant. Raouf KHALSI
*Le modèle judiciaire américain repose sur le système accusatoire. Le juge ne statue que si tous les griefs contre l'inculpé sont dûment prouvés. Il ne va pas outre. A l'inverse, le système français (comme le système tunisien) permet au juge de colmater des failles dans l'un des griefs, pas complètement établis. C'est le système inquisitoire.