Née au début des années soixante-dix, la classe moyenne tunisienne a depuis, connu nombre de soubresauts qui l'ont alternativement renforcée ou fragilisée. Depuis cette lointaine époque, cette classe aux moyens relativement limités tente de survivre tant bien que mal, avec des difficultés parfois insurmontables et des sacrifices quotidiens, mais que certains jugent nécessaires… Plongée dans le monde mouvant d'une majorité silencieuse qui représente un important facteur de stabilité et de paix sociale. D'un point de vue historique, le développement de la classe moyenne s'est produit en Angleterre au début du 20ème siècle et quelques années plus tard aux Etats Unis, alors que les pays du Sud n'ont connu ce phénomène qu'après la décolonisation. Chez nous, il a fallu attendre la fin de la malheureuse expérience de la collectivisation forcée des années soixante pour voir émerger une ébauche de classe moyenne. Un mouvement continu Pour les économistes, « appartenir à la classe moyenne c'est faire partie d'un mouvement continu d'amélioration des conditions générales de vie ». Une définition qui ne présente qu'un des nombreux aspects de la question. Les citoyens appartenant à la classe moyenne doivent, en outre, bénéficier d'un salaire régulier : fonctionnaires, enseignants, professions commerciales et de service, ingénieurs et techniciens... Ils doivent avoir des revenus moyens ou supérieurs à la moyenne, des capacités d'endettement et un accès à la consommation de masse. Cette situation est souvent le résultat d'une généralisation de l'enseignement et le développement du secteur tertiaire de son économie. Une situation qui a permis à toute une catégorie de la population d'éviter les travaux pénibles qui étaient l'apanage de la vie paysanne et ouvrière. Elle est très utile aux structures des pays, comme nous le confirme un sociologue : « la classe moyenne renforce la cohésion sociale et atténue les aspects négatifs de la lutte des classes, avec une promesse de bien-être possible pour tous. Bref, c'est un gage de stabilité et de progrès continu. » Or cette classe moyenne dans le monde alterne espoir et désespoir selon un économiste : « la classe moyenne est une illusion mirage aux contours mal définis. C'est une situation fragile, où l'on alterne la carotte et le bâton. Et en plus, cet ascenseur social est souvent en panne, d'où la volonté permanente des pouvoirs publics de lui maintenir la tête hors de l'eau, en lui proposant des augmentations ou des crédits qui s'étalent sur des décennies… » Chez nous, il y a certes des appréhensions, comme pour ce père de famille qui vient d'achever de payer ses crédits, la veille de ses soixante ans : « assurer un avenir meilleur à soi-même et à ses enfants, exige des sacrifices tout au long de sa vie. J'ai dû me priver de loisirs, de voyages et même de vacances pour parvenir à construire une maison et assurer le quotidien de ma famille » ! Une attitude quasi générale dans la société tunisienne, qui vit au-dessus de ses moyens, qui s'endette jusqu'au cou et se prive parfois de l'essentiel. La clé de cette réussite en Tunisie, c'est la richesse des ressources humaines et la croissance qui est plutôt fluctuante dans le monde d'aujourd'hui. Facteur de paix sociale, et porteuse de projets futurs, la classe moyenne ne peut survivre qu'en cas de conjoncture favorable, sinon le doute s'installe et les lendemains déchantent… Le bout du tunnel Certains pourtant évoquent exagérément « la disparition progressive du modèle social tunisien, si rien n'est fait pour y remédier ». Estimée à 60% de la population tunisienne la classe moyenne s'inquiète surtout pour l'avenir de ses enfants. Un père de famille retraité depuis peu, résume ces craintes : « moi j'ai fait ma vie comme j'ai pu, mais ma fille est en troisième cycle, elle n'a pas fini ses études à 26 ans et elle ne voit pas le bout du tunnel. Sans oublier que le temps passe et que, si elle n'a pas de travail, elle ne trouvera pas un mari de son rang et de son niveau… ». Or les pouvoirs publics font tout pour sauvegarder l'essentiel : le pouvoir d'achat et la sécurité sociale. La crainte pour bon nombre de nos concitoyens qui ont réussi à se faire une place au soleil c'est aussi un déclassement social et économique. Retour de manivelle ? Résultat inattendu de cette situation, de nombreux parents encouragent leurs enfants à aller chercher ailleurs, en Europe, au Moyen-Orient ou aux Amériques, un travail qu'ils n'ont pas trouvé chez eux, malgré leurs diplômes. Une jeune fille de 27 ans qui vient de terminer ses études en médecine et qui n'a pas trouvé de travail confie : « j'ai envoyé mon CV à plusieurs organismes en France et j'ai reçu des propositions de salaires plusieurs fois supérieures à ce que l'on propose aux médecins débutants chez nous, donc je pars même si j'aime ma Tunisie… » Des exemples comme ceux-ci sont nombreux, surtout dans le domaine informatique et médical. Une fuite de cerveaux qui revient cher à la Tunisie, tout en bénéficiant aux pays d'accueil, qui reçoivent des compétences déjà adultes, formées et qui ne leur ont rien coûté. Une situation dont il faut prendre conscience et y remédier rapidement en créant des postes pour tous ces diplômés. Le spécialiste en économie affirme que « la mondialisation a certes bouleversé les réalités du travail et la crise financière a encore accentué le phénomène. Tous les pays sont désormais concernés par l'appauvrissement de leurs classes moyennes et la précarité gagne la plupart des couches sociales. Mais la Tunisie a des atouts importants par rapport aux autres pays grâce notamment à son sens de la solidarité et aux compétences de ses cadres. » Sa stabilité est durable car on ne cesse de rechercher des solutions pour embaucher massivement les diplômés, à propulser la progression du taux de croissance, les investissements à haute valeur ajoutée. C'est à ces conditions que l'ascenseur social continue de fonctionner et que le modèle social permet à tous de profiter de la vie sans avoir peur de l'avenir...