Une causerie sur la dénomination des rues de l'ancienne Médina de Tunis, organisée, samedi 12 juin, par la municipalité, au centre culturel de Bir Lahjar, a montré l'importance et la complexité du sujet, au point que les participants ont proposé d'approfondir l'examen de la question à une échelle plus large, dans le cadre d'une Conférence nationale. Animée par le Dr Ridha Méjri, ancien président de la commission de dénomination des rues de la municipalité de Tunis, la rencontre a drainé un grand nombre de citoyens parmi les habitants de la Médina, outre plusieurs responsables municipaux ayant à leur tête M. Aziz Matéri, vice- président de la municipalité de Tunis. Incompréhension injustifiée des citoyens Souhaitant la bienvenue à l'assistance, M. Ikram Azzouz, directeur du centre culturel municipal de Bir Lahjar, au cœur de la Médina, a mis l'accent sur le souci du nouveau Conseil municipal de Tunis présidé par M. Béji Ben Mami, d'axer les activités intellectuelles inscrites au programme de l'établissement, sur des sujets en rapport avec les centres d'intérêt des citoyens et la vie dans la Cité. Signe de l'actualité du sujet, la rencontre a enregistré une discussion animée, rappelant les réactions souvent vives, suscitées auprès des habitants, par la récente opération d'attribution de noms aux rues désignées par de simples numéros dans les nouvelles extensions urbaines de la ville de Tunis. Un responsable de la délégation d'El Omrane supérieur, présent à la rencontre, a dit ne pas réaliser la signification profonde des nouveaux noms attribués aux rues de cette nouvelle agglomération, comme le nom de chimistes, le nom de Bousaâdia (personnage burlesque du patrimoine populaire), ou encore le nom de Ali Ben Belgacem (militant décédé), soulignant qu'il ne voit pas, non plus, le rapport entre tous ces noms, ni une justification à leur choix. En effet, suite à des directives présidentielles données au début de cette année en vue de l'attribution de noms aux rues désignées par de simples numéros, la municipalité de Tunis a mis en place une commission en vue de concrétiser ces directives. Un membre de cette commission, également présent à la rencontre, a expliqué les causes de l'amalgame évoqué par le responsable de la délégation d'El Omrane supérieur, l'attribuant, avec raison, à une incompréhension de la part des habitants et des citoyens, frisant l'absence de sens identitaire. La commission avait à attribuer des noms différents à quelques 3 mille rues, dans la quinzaine de délégations de la municipalité de Tunis et elle a jugé bon de consacrer à chaque délégation un bouquet de noms appartenant à un même thème, selon les spécificités de chaque cité. Ainsi, la délégation de Djebel Jeloud (montagne des peaux ou du cuir) a eu droit à un bouquet de noms de montagnes, tandis que la délégation d'El Haryiria (tisserands) a reçu un bouquet de noms de métiers dont celui de chimistes, par allusion à la teinturerie des tissus. Les autres délégations ont reçu, chacune en ce qui la concerne, des bouquets de noms de résistants et de militants décédés, de noms de personnages du patrimoine comme Bousaîdia. Or, chose bizarre ou défaut d'information préalable des citoyens peut être, les habitants ont protesté contre cette répartition thématique des noms. Ceux de l'agglomération ayant reçu un bouquet de noms de militants et de résistants décédés auraient refusé de voir leur cité ‘'reconvertie en cimetière''. A cet égard, Mr Ridha Méjri a révélé qu'un habitant d'une cité huppée lui aurait dit mal accepter que la rue de cette cité où il habite porte le nom de Mosbah Gerbou (Mosbah la Gerboise), un des plus illustres résistants lors de la bataille de l'évacuation, parce qu'il évoque les rats. Face à ces contestations, la Commission a redistribué, pêle-mêle, les bouquets de noms qu'elle a constitués entre les délégations, ce qui a fait qu'on trouve des rues voisines, dans le même endroit, portant les noms de chimistes, Bousaidia et Ali Ben Belgacem. Valeur historique S'agissant des noms des rues de l'ancienne Médina de Tunis, le Dr Ridha Méjri a insisté sur leur valeur historique et culturelle, notant qu'ils constituent des attributs de l'identité et de la mémoire collective, dignes d'être sauvegardés. Ces noms se rapportent à de noms de grandes familles ayant habité les rues en question, à des évènements qu'elles avaient abrités, à des saints de l'Islam et autres faits marquants. Ainsi, une rue à l'entrée de la Médina, du côté de la nouvelle ville dite européenne, portait le nom de la rue du porc (el hallouf, dans le dialecte tunisien), et on avait cherché à lui donner un nom, soi-disant plus décent. Toutefois, son nom original illustre la tolérance religieuse qui a toujours caractérisé la société tunisienne, car la rue était ainsi nommée parce qu'elle était autrefois un abattoir de porcs pour les chrétiens résidant dans la ville de Tunis, depuis l'époque hafside, marquée pourtant par des guerres de religions meurtrières entre les pays islamiques et les pays chrétiens. Certains noms ont été dénaturés pour diverses raisons, principalement à cause de mauvaises traductions en français durant la période coloniale. Une rue de la Médina de Tunis porte actuellement la rue du miel, alors que son nom original était la rue de la famille ‘'Assal'' qui y habitait (rue béni Assal). Or, le miel s'appelle ‘'assal'' en arabe, d'où la dénaturation. Le nom initial serait même ‘'Asli'', nom d'origine berbère très répandu en Afrique du Nord et qui a, entre autres, le sens de noble ou ‘'né'' comme on dit en français. La municipalité de Tunis projette de suivre scientifiquement la question, en vue de créer une banque de noms et recueillir toutes les données avérées concernant le sujet.