Maintenant que les résultats du baccalauréat sont connus, place au bilan de cette première session qui n'a pas manqué de susciter le mécontentement des enseignants. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois au cours de cette décennie que les professeurs de terminale s'en prennent aux concepteurs des examens pour leur reprocher un certain nombre de lacunes relevées dans les sujets proposés. L'année dernière, un rapport détaillé sur le baccalauréat dénonçait entre autres des aberrations au niveau des conditions dans lesquelles se conçoivent les épreuves et émettait des réserves quant à la constitution des commissions pédagogiques chargées de la préparation des examens. Cette année, les récriminations enregistrées jusqu'à présent concernent les sujets de philosophie, d'histoire, d'arabe et de français ; mais l'on s'attend à d'autres plaintes se rapportant aux épreuves de la session de contrôle. A ce propos, le syndicat du secondaire attend de réunir toutes les données sur les sujets des deux sessions et sur leurs corrigés pour établir un bilan global des examens du baccalauréat de 2010. Il est vrai que la grogne des enseignants se fait plus discrète cette année en raison sans doute de l'absence d'erreurs flagrantes dans les épreuves. Néanmoins, le ministère de tutelle se doit de se mettre à l'écoute de ces voix qui s'élèvent nombreuses pour exiger davantage de transparence dans la désignation des commissions d'examens, et plus de sérieux et de rigueur dans la confection des épreuves. Pour en revenir aux principaux défauts relevés dans les sujets de la session écoulée, voici ceux qu'on décrie le plus fort dans le milieu enseignant. Trois maladresses en philo En philosophie, on déplore trois types de défauts dans l'épreuve proposée aux littéraires : d'abord, les sujets (respectivement sur le travail, l'art et le rapport ipséité-altérité) concernent les volets du programme étudiés au dernier trimestre et se répartissent donc très mal sur l'ensemble des cours dispensés tout au long de l'année. Ensuite, ils ne sont pas tout à fait conformes à l'esprit ni aux objectifs fondamentaux des programmes officiels. Pour certains enseignants de la matière, la rigueur, la profondeur et la diversité font défaut aux trois épreuves. La formulation des consignes y laisse aussi à désirer, semble-t-il. En effet, les deux sujets de dissertation répondent au même plan : une affirmation qu'il s'agit d'analyser et de discuter. Quant au texte support du commentaire composé, c'est un extrait mal découpé de l'Emile de Jean-Jacques Rousseau. Il paraît que les parties qui en avaient été retirées étaient indispensables à une meilleure compréhension et à une plus judicieuse analyse de la problématique posée par l'auteur. De plus, les questions qui accompagnaient le commentaire n'étaient pas toutes, affirme-t-on, pour aider le candidat à se concentrer sur cette problématique centrale. Des questions non conformes L'épreuve de français dans la section Lettres recèle, nous dit-on, une lacune au niveau de la deuxième question proposée dans la rubrique « grammaire » : à partir de deux propositions indépendantes : « Comme nous vivons bien ! Sommes-nous heureux ? », on demande au candidat d'identifier « le rapport logique implicite établi entre ces deux phrases » et de réécrire en une seule phrase les deux propositions de manière à expliciter ce même rapport logique. Or, pour obtenir une telle phrase complexe, l'élève peut recourir à trois procédés différents (la juxtaposition, la coordination ou la subordination) dont le libellé de la question ne précise nullement lequel privilégier dans la réponse. L'autre problème pour le candidat réside dans la difficulté de relier deux phrases de modalité différente (une exclamative et une interrogative, dans le cas présent). En effet, l'apprentissage en classe de ce genre d'exercice de transformation recourt habituellement à des phrases de type déclaratif. D'ailleurs, dans le corrigé de l'épreuve, les réponses données traduisent l'obligation de sacrifier une modalité au profit de l'autre pour obtenir la construction demandée. Pour preuve, voici deux exemples de réponses proposées qui montrent qu'on a procédé à un changement de sens dans l'une des propositions initiales, et même dans les deux à la fois, pour contourner la difficulté évoquée plus haut : Réponse 1 : « Nous vivons bien ; mais sommes-nous heureux ? ». Ici c'est la modalité exclamative qui a été sacrifiée Réponse 2 : « Nous vivons bien, bien que nous ne soyons pas heureux ». En plus de la maladresse que constitue la répétition de l'adverbe « bien », on relèvera aussi, dans cette réponse, que ni l'exclamation ni l'interrogation ne sont reconduites. Deux autres remarques nous ont été rapportées à propos de cette même question : la première est que celle-ci suppose plus d'une réponse. Or, la consigne officielle donnée aux concepteurs des examens comme aux enseignants eux-mêmes déconseille les exercices de ce genre. La seconde est que, dans l'essai (qui, soit dit en passant, reprend les propositions : « Comme nous vivons bien ! Sommes-nous heureux ? »), on souffle aux élèves la réponse à la première question de grammaire sur le rapport logique implicite reliant la phrase exclamative et la phrase interrogative ! C'est tant mieux pour les candidats, sommes-nous tentés de dire, puisqu'il s'agit là d'un cas de fraude qui permet en toute loyauté de grignoter quelques points autrement difficiles à engranger ! Repenser le système des examens On nous a fait part également, concernant le sujet d'histoire proposé dans la section Lettres, d'une maladresse dans le texte à commenter, lequel porte sur un événement très circonstanciel de l'histoire du Mouvement national alors qu'il fallait interroger les élèves sur un corpus plus ample de leur programme. Dans l'épreuve d'arabe de la section Sciences, c'est surtout la formulation des questions qu'on juge maladroite. Mais, au-delà de ces reproches de détail, nous pensons que le malaise est plus profond au sein du corps enseignant et même parmi les inspecteurs : certains parlent de « lobbies » qui imposent leur diktat aux membres des commissions d'examens ; d'autres dénoncent une certaine légèreté dans la conception des épreuves et dans le choix des compétences habilitées à effectuer une tâche aussi délicate. Quoiqu'il en soit et pour éviter à nos examens nationaux une telle suspicion et d'aussi graves remises en question, l'heure est peut-être venue pour que ce dossier donne lieu à un large débat entre les représentants des différentes structures chargées de l'enseignement et de l'éducation dans notre pays. Le temps de l'improvisation, des décisions unilatérales et des demi-mesures doit prendre fin nonobstant les mauvais esprits qui cherchent à le faire perdurer !