• Des pommes de terre, des vignes et du blé transgéniques «made in Tunisia», dans les laboratoires- Réunis à l'occasion d'une journée scientifique, organisée hier à l'Institut National Agronomique de Tunisie (INAT), des experts tunisiens, suisses et américains ont plaidé pour l'utilisation judicieuse des biotechnologies pour réduire l'extrême vulnérabilité de l'agriculture tunisienne aux changements climatiques. A l'heure où le recours aux manipulations génétiques sur des plantes dans le but de relever le défi crucial de la sécurité alimentaire divise encore et toujours la communauté scientifique dans le monde entier, l'Institut National Agronomique de Tunisie (INAT) et les centres de biotechnologies de Borj Cedria et de Sfax ont apporté leur contribution à ce sujet de brûlante actualité loin des campagnes de diabolisation orchestrées par les naturalistes et les militants anti-OGM. La journée scientifique sur le thème «Les biotechnologies végétales: quels apports pour faire face aux changements climatiques?» organisée hier a tenté de situer le débat dans le contexte de l'impact des changements climatiques sur les rendements des récoltes en Afrique du Nord et plus particulièrement en Tunisie. «En raison de leur climat semi-aride et des changements observés au niveau de la durée des saisons et de la régularité des précipitations, les pays du Maghreb sont plus que jamais appelés à se doter de toutes les technologies disponibles pour protéger les cultures et assurer une stabilité des rendements», a fait remarquer M. Walid Hamada, chef du laboratoire de la génétique et de l'amélioration des plantes à l'INAT. Selon lui, les experts en climatologie ont constaté au cours des dix dernières années une baisse sensible de la production des céréales et des légumineuses dans les régions tunisiennes semi-arides comme El Fahs, Le Kef et Kairouan sous l'effet des changements climatiques. Recrudescence des phénomènes climatiques extrêmes Les observations des climatologues ont été confirmées par une récente étude sur «l'adaptation de la politique agricole en Tunisie aux changements climatiques» réalisée par le ministère de l'agriculture en collaboration avec l'agence de coopération allemande (GTZ). Cette étude a montré que le climat tunisien a été marqué durant les cinquante dernières années par une plus grande fréquence de deux phénomènes climatiques extrêmes, en l'occurrence la sécheresse et les inondations. 18 phénomènes extrêmes ont été enregistrés au cours de la seconde moitié du siècle dernier contre 12 pour la première moitié. Se basant sur une modélisation des changements climatiques, définis comme étant «une augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes climatiques extrêmes », l'étude a fait des projections à l'horizon 2030. Ces projections climatiques montrent que les deux régions du centre et du sud connaîtront une augmentation de la température et une baisse des précipitations. Sur l'ensemble du pays, les impacts de ces phénomènes climatiques se traduiront par une diminution de 28% des réserves en eau dans les nappes phréatiques à l'horizon 2030, ce qui risque de faire chuter la production oléicole de 50% et les superficies céréalières de 20% Faire sortir les recherches des laboratoires aux champs Outre la baisse des rendements, les changements climatiques ont des impacts négatifs sur le degré de résistance des plantes aux agents pathogènes. «Des recherches menées en Europe et aux Etats-Unis ont prouvé que le réchauffement climatique favorisent l'apparition des maladies végétales et animales», a expliqué M.Daniel Klessig, chef du département des pathologies des plantes à l'Université Kornell à New York. Et d'ajouter : « dans ce cadre, les biotechnologies représentent un ensemble d'outils qui s'avèrent très utiles pour atténuer l'impact des changements climatiques sur les cultures et assurer une stabilité des rendements». Pour sa part, M. Khaled Masmoudi, chef du laboratoire de protection et de transformation des plantes au centre de biotechnologie de Sfax, a jugé qu « 'il serait désormais judicieux de faire sortir les résultats des recherches sur les biotechnologies des laboratoires tunisiens aux champs». Selon lui, de nombreuses manipulations génétiques menées dans les laboratoires tunisiens ont abouti à la conception de plusieurs variétés de semences résistantes à la sécheresse ou encore insensibles à certaines maladies. Il s'agit notamment des pommes de terre «Spunta» peu sensibles à la sécheresse, des vignes résistantes à la salinité des eaux et des variétés de blé à haut rendement « Karim», « Maâli et «Om Errabîi». De son côté, M. Ahmed Mliki, chef du laboratoire de physiologie moléculaire des plantes a déploré les lourdeurs administratives qui accompagnent la promulgation d'une loi sur les organismes génétiquement modifiés en Tunisie. « Le texte de loi est fin prêt depuis quelques années, mais rien n'a filtré sur son contenu, ni sur sa date de promulgation », indique-t-il. Walid KHEFIFI ----------------------- Les OGM s'invitent-ils à notre table, à notre insu ? Théoriquement, nos assiettes ne contiennent pas d'OGM. La Tunisie a, en effet, ratifié le 25 juin 2002 le protocole de Carthagène qui définit les droits et les devoirs des pays importateurs et des pays exportateurs et autorise l'interdiction de l'importation d'OGM sur la base de l'absence de certitude scientifique sur l'étendue de leurs effets défavorables. Beaucoup d'experts estiment, cependant, que les OGM s'invitent à notre table à notre insu en l'absence d'une réglementation nationale qui impose l'étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM venus de l'étranger et de laboratoires dotés des moyens techniques pour détecter ce gendre de denrées. « La Tunisie ne dispose pas de laboratoires qui peuvent détecter les produits contenant des OGM. Ces organismes peuvent par conséquent atterrir à notre insu dans nos assiettes », assure M. Ahmed Mliki, chef du laboratoire de physiologie moléculaire des plantes au centre de Biotechnologie de Borj Cedria. Parmi les produits les plus susceptibles de contenir des OGM figurent la farine et la semoule de maïs, l'huile de maïs, les chips salées ou encore les corn-flakes et les huiles de soja ou de colza qu'on trouve sur les étalages de nos hypermarchés. En outre, le lait ou la viande d'un animal nourri avec des aliments génétiquement modifiés ne sont pas étiquetés comme produits OGM. ----------------------- 57% des Tunisiens sont anti-OGM Très peu d'études se sont intéressées aux connaissances et attitudes des Tunisiens vis-à-vis des OGM. Parmi les rares études réalisées à ce sujet figure une enquête sur la dimension sociale des aliments transgéniques en Tunisie menée en 2004 auprès d'un échantillon anarchique de 300 personnes. Il ressort de cette étude que 57% des Tunisiens s'opposent catégoriquement aux OGM. 23% des personnes interrogées ont préféré ne pas se prononcer sur les OGM soit parce qu'ils ignorent leur existence (18%), soit parce qu'ils n'ont pas encore d'opinion sur la question (5%). Sur l'ensemble de l'échantillon interrogé, 20% seulement déclarent être en faveur des OGM. Les connaissances et les attitudes du public à ce sujet semblent, en outre très liées au niveau d'instruction. Ainsi, moins on est instruit, plus on a tendance à ignorer l'existence des OGM et plus on y est favorable. Inversement, ce sont principalement les personnes disposant d'un assez bon niveau d'instruction qui sont les mieux informées et les plus hostiles aux manipulations génétiques des plantes.