Ouverte le 15 octobre 2010 au musée national de Carthage, la première exposition maghrébine de paléontologie se poursuit jusqu'au 31 mars 2011, enregistrant, dès les premiers jours, un succès retentissant et une grande affluence de la part du public tunisien et des touristes européens. Comme nous l'avions pu constater sur place, le musée de Carthage ne désemplit pas de visiteurs, s'agissant, à vrai dire, comme on le sait, d'un sujet nouveau et curieux à tout point de vue, à savoir la présentation d'un dermoplastique, ou portrait approximatif en plastique, grandeur nature, d'un jeune homme, vieux de vingt- sept siècles, réalisé à partir de son squelette trouvé intact, en 1994, au sommet de la colline de Byrsa, à Carthage. Aussi, l'a-t-on appelé ‘'l'homme de Byrsa''. L'évènement a constitué, également, une manne pour les journalistes, toujours à l'affût du nouveau pour régaler le public, encore que, dans la foulée, certains d'entre eux aient laissé glisser quelques inexactitudes dans leurs articles, en comparaison avec les documents officiels relatifs à l'exposition. Outre le corps reconstitué du jeune homme âgé d'une vingtaine d'années, l'exposition présente son squelette et divers objets funéraires, appelés ‘'mobilier funéraire'' dans le jargon des archéologues et trouvés dans la chambre funéraire où avait été découvert le squelette. Le dermoplastique est indépendant du squelette ; c'est comme les portraits en cire des personnages historiques et artistiques exposés dans les musées spécialisés dans ce genre d'activités. Ainsi, contrairement à ce qu'avaient rapporté certains articles de presse, le jeune homme de Byrsa ne souffrait d'aucune maladie génétique et paraissait avoir été, de son vivant, en très bonnne santé. Sa mort précoce aurait été accidentelle. La découverte fut fortuite. En voulant planter un arbre dans la cour du musée national de Carthage, à une dizaine de mètres du bâtiment, au mois de juillet 1994, l'ancien conservateur de ce musée, l'historien connu Abdelmajid Ennabli, a découvert un ancien puits. Une mission archéologique française qui entreprenait, alors, des fouilles dans le site, dans le cadre de la Campagne internationale de sauvegarde de Carthage, s'est chargée de l'exploration du puits. Elle comprenait, entre autres, l'archéologue français Jean Paul Morel, auteur principal du premier rapport scientifique établi à ce sujet. En effet, d'après les historiens, la colline de Byrsa, située à 500 mètres environ du littoral, était, au 7ème siècle avant JC, une nécropole archaique, avant d'être une zone d'habitation au 2ème siècle avant JC, à l'instigation du grand chef carthaginois Hannibal. Le puits découvert par Abdelmajid Ennabli était un puits d'accès à une tombe, ou chambre funéraire dans laquelle les archéologues français ont trouvé deux auges taillées dans de gros blocs de grès et disposés longitudinalement. Seul, l'auge gauche contenait un squelette de mort, en l'occurrence celui de notre jeune homme de Byrsa Il s'agit d'un jeune homme de vingt ans environ, et mesurait 1mètre 70. Il était déposé dans une civière en bois moulu sur des pieds massifs. Il était étendu sur le dos, la tête tournée à droite, les bras le long du corps, les avant-bras légèrement fléchis, de sorte que les mains reposaient sur le bassin. Le dermoplastique de l'homme de Byrsa a été réalisé par la spécialiste mondialement connue en la matière, la Française Elisabeth Danyès, à la lumière de données de reconstitution fournies par le Dr Jean Noel Vignal, anthropologue médico-légal français. Le financement a été obtenu dans le cadre de la coopération française. Cependant, le mérite de l'initiative en revient essentiellement aux deux spécialistes tunisiennes, l'archéologue Leila Lajimi Sébai et l'ethnologue Sihem Rédissi. Autre inexactitude constatée à ce propos, le jeune homme de Byrsa n'appartiendrait pas au type euro- méditerranéen, mais il serait de type caucasoide, d'après le certificat établi par Mme Elisabeth Danyès et Jean Noel Vignal. Quoique une certaine liberté ait été prise en ce qui concerne la reconstitution de la couleur des cheveux (roux) et celle des yeux, le portrait du jeune homme de Byrsa rappelle, à sa vue, des gens du groupe tunisien des Farachiches ou encore de Djerba. Serait-il berbère ? Les anciens procédés d'inhumation berbères ressemblaient à ceux pratiqués sur le jeune homme de Byrsa. Il existe, encore, à l'île de Djerba, des monuments relativement récents formés de puits permettant l'accès à des tombes ayant le caractère sacré. A cet égard, certains spécialistes nous ont fait remarquer que les morts étaient autrefois enterrés dans les maisons habitées par les vivants, aux côtés des vivants. La méthode était pratiquée en Tunisie, jusqu'à une époque très récente. Ces complexes formés de puits d'accès à des tombes seraient, ainsi, d'anciens troglodytes, habitat utilisé par les Berbères, ainsi que par beaucoup d'autres groupes dans le monde entier, dont certains groupes arabes ayant vécu, à l'âge préislamique, au nord de l'Arabie saoudite. Enfin, les mêmes spécialistes relèvent que beaucoup de récits du livre arabe intitulé ‘'les mille et une nuits'' et les contes populaires tunisiens font allusion à des puits souterrains habités par les gens et dont le héros fait fortuitement la découverte, en cherchant à abattre un arbre ou des choses de ce genre. La capitale du Liban, Beyrout, veut dire ‘'puits'' (bir, en arabe et les langues proches de l'arabe), et serait, à l'origine, formée d'habitations de ce genre. Le Liban est le berceau des Phéniciens, fondateurs des trois villes côtières voisines, sur le littoral tunisien, Carthage, Raoued (il existe aussi au Liban une ville portant ce nom), et Utique. La découverte revêt, ainsi, des dimensions ethnologiques et historiques très intéressantes et très instructives. Son étude approfondie qui se poursuit, prévoit, aussi, des analyses d'ADN à même de situer plus exactement le type du jeune homme de Byrsa.