Par Bourguiba BEN REJEB - L'Institut National des Statistiques va désormais tenter de donner une vision plus circonstanciée sur la situation de l'emploi dans le pays. Il a en effet été décidé de diligenter des enquêtes trimestrielles auprès de 60 000 ménages considérés comme représentatifs de la population dans son ensemble. Devraient être prises en compte les situations les plus diverses tant sur le plan économique que social. Le panel retenu pose bien entendu des problèmes de représentativité aussi bien au niveau des régions qu'au niveau des situations sociales en constante évolution. Obtenir une lisibilité statistique, comme on dit maintenant, de la situation peut en effet constituer un levier pour les initiatives à prendre sur le terrain. L'emploi est un souci majeur sur le plan national et les solutions quantitatives peuvent améliorer la qualité des programmes visant à assurer l'adéquation entre les formations et le monde du travail. Les différents observatoires assignés à cette tâche pourront donc gagner en efficacité. Tout le monde sait, et dit, que les technologies doivent évoluer, encore faudra-t-il renouveler avec constance les processus et les contenus de renouvellement que l'actualisation technologique impose. L'Espagne et les châteaux Imaginons ainsi que la famille de Abdelaziz S. fasse partie du panel retenu par l'INS. La situation est la suivante : le père est récemment parti à la retraite, pension moyenne qui lui permet de garder globalement le niveau de vie du temps où il travaillait. La mère aussi, ce qui, au total, donne à la famille les moyens de garder encore les enfants à la maison, dont la grande fille amenée à bout de bras, et de sacrifices, à l'obtention d'une maîtrise d'espagnol. Bien entendu, le premier réflexe fut de la pousser à se présenter au CAPES, sésame d'un métier d'enseignante qu'on espère à long cours, histoire aussi de se marier et d'avoir des enfants, comme dans les contes de fées. Il fallait compter sans les aléas du CAPES, désormais assailli par près de 100 000 postulants, pour à peine plus de mille heureux élus. On sait depuis longtemps que la démographie a modifié les besoins en enseignants. On sait aussi que les profs ayant déjà trouvé à se caser sont partis dans la carrière pour des décennies. L'Education Nationale ne renouvelle désormais plus son personnel que très partiellement, pour la raison simple qu'il y a saturation. Les mécanismes du recrutement sont bien huilés, mais il n'y a statistiquement plus de places en nombre suffisant. Pour la famille de Abdelaziz, il fallait explorer d'autres pistes. On leur dit que, dans certains cas, on pouvait espérer quelque chose du côté de l'Enseignement Supérieur. Il restait quelques opportunités, sauf qu'une maîtrise ne suffisait pas en elle-même à gagner un strapontin à ce niveau là. La voie ouverte depuis quelques années déjà est celle que l'on appelle un mastère appliqué ou celle de la formation professionnelle visant l'intégration professionnelle directe. Ce fut la solution retenue par la fille de Abdelaziz, avec à la clef, un espoir de fixation, enfin. Elle n'était pas la seule, loin de là, ce qui n'était pas pour rassurer sur la conclusion de l'affaire. Les rouages qui grincent Quelle que soit l'appellation retenue pour cet instrument, l'Etat s'engageait ainsi dans la facilitation des démarches et participait à l'intégration des diplômés. Pour les autres, d'autres formules sont aussi expérimentées, depuis de nombreuses années. Des résultats ont été obtenus, sans que l'on puisse en conclure que les solutions furent suffisantes. Loin de là, puisque des déficits accumulés sont enregistrés et que l'emploi des jeunes continue, de loin, à être déclaré prioritaire. Chez nous, comme un peu partout dans le monde, l'évidence est que des changements structurels dans la société et dans l'économie nécessitent le renouvellement des approches d'évaluation. Ces approches constituent d'ailleurs le thème de la rencontre organisée à Tunis du 25 au 27 Octobre entre les responsables du secteur et l'Organisation Internationale du Travail. Le but est de reconnaître les indicateurs, entre autres alternatifs, de l'évolution du marché de l'emploi. Le constat est en effet que la lenteur des évolutions dans la formation crée un effet de décalage et par conséquent freine l'accès à l'emploi. Pour Abdelaziz, ces considérations ne permettent pas de résoudre dans l'immédiat, et c'est bien tout le problème, les problèmes de Abdelaziz. L'idée de Stages d'initiation à la Vie Professionnelle (SIVP) est un pis-aller alors qu'elle devait être une solution prometteuse. C'est probablement de ce côté-là qu'il va falloir pousser l'analyse. Les statistiques sont certainement disponibles sur les actions multiples initiées depuis des années à ce titre. On peut même penser que le nombre de stages déclarés non concluants à leur terme est significatif des blocages qui persistent, et qui coûtent finalement beaucoup à la communauté nationale. Pour Mériem, bénéficiaire pour un temps de cette opportunité et titulaire d'une maîtrise en sciences humaines, le SIVP a simplement servi à faire financer son emploi temporaire par la subvention accordée par l'Etat. Elle pense même qu'ils seraient nombreux dans ce cas. Ce qui devait être une passerelle aurait donc fini par n'être qu'un palliatif et une mise en attente. Evoquer la bonne ou la mauvaise foi des uns et des autres ne résout pas le problème. Se satisfaire aussi du caractère fondamentalement familial de l'entreprise tunisienne n'explique pas tout. Par contre, il semble patent que les mentalités n'ont pas encore évolué dans le sens où les passerelles sont considérées comme des opérations de parrainage rentables pour tous les partenaires, à moyen et à long termes. On le voit par exemple, et pour le plus spectaculaire, dans les génériques des productions cinématographiques internationales. A côté de professionnels chevronnés apparaissent les noms de stagiaires qui sont là pour apprendre le métier sur le vif, en plus de se constituer un cv conséquent. Au fond, rien de particulièrement innovant. Nos artisans ont toujours, et depuis toujours, agi ainsi. Les aînés forment, en exploitant parfois, mais c'est la loi du genre, les apprentis appelés à devenir des artisans confirmés eux-mêmes. L'avantage est aussi que le savoir et la dextérité évoluent au fil du temps. Ailleurs que chez nous, on a vu des séniors à la retraite redonner des chances à des jeunes simplement en leur fournissant leur professionnalisme acquis avec le temps.