Le 1er mars 1969 demeurera une date incontournable dans la vie ravageuse de Jim Morrison, poète et chanteur rock du groupe mythique « the Doors », dont il justifie l'appellation de la façon suivante : « Il y a le connu, il y a l'inconnu. Et entre les deux, il y a la porte et c'est ça que je veux être ». Ce qui était connu pour lui, c'est cette aventure à priori anodine qui le marque à jamais. Il n'avait que trois ans et quelques mois et en compagnie des siens, il roulait à travers le désert, à l'aurore. C'est alors qu'un camion plein d'ouvriers indiens subit un grave accident. Il y avait des indiens qui gisaient sur toute l'autoroute, agonisant, perdant du sang. Pour la première fois l'enfant goûtait la peur… En repensant à cet événement plusieurs années plus tard, il avait la conviction que les âmes ou les esprits de ces Indiens défunts, courant dans tous les sens, paniqués ont tout simplement sauté dans son âme pour ne plus la quitter. L'événement du 1er mars à Miami, où le groupe se produisit en concert n'avait rien de mystique, il traduisait une révolte sans pitié contre le star-system, les Doors, la société et l'époque qui étaient la sienne. Ayant raté l'avion, il arriva en retard, gravement éméché, et il se perdra dans un discours explicitement anarchiste et directement agressif à l'égard de ses fans : « Vous n'êtes qu'une bande d'idiots ! A laisser les autres vous dire quoi faire ! A laisser les gens vous bousculer ! Combien de temps ça va encore durer, à votre avis ? Combien de temps est-ce que vous allez laisser faire ça. Peut être que vous aimez ça, peut être que vous aimez qu'on vous bouscule… Vous adorez qu'on vous mette la tête dans la m… Vous n'êtes qu'une bande d'esclaves ! » Oui combien de temps cela a-t-il duré ? Quarante ans ! Aujourd'hui, Jim Morrison, mort dans des circonstances troubles peut, enfin, reposer tranquille. La justice américaine vient de l'acquitter de la souillure qui a collé à son nom au mois d'août 1970, quand les juridictions de Floride ont émis une sentence curieuse. Reconnu coupable « d'outrage aux bonnes mœurs » et « d'exhibition indécente » lors du concert sus-cité et condamné à huit mois de prison ferme et 500 dollars d'amende. Son avocat obtiendra sa libération moyennant une caution de 50 000 dollars. Les témoins à charge se rétractèrent et Jim déclara qu'il était tellement ivre qu'il ne se souvenait plus de rien. Il aura fallu attendre quarante ans pour que la justice américaine reconnaisse que le « Roi Lézard », lors de ce concert, n'était encore qu'un « enfant » et que son œuvre musicale et poétique a perduré à travers les années et qu'elle est aujourd'hui considérée comme représentative de la culture américaine. Justice est, enfin, faite pour celui dont le physique d'éphèbe, le sourire désarmant et la coupe de cheveux rappelant celle d'Alexandre Le Grand ont transformé en sex symbole aussi adulé que James Dean ou Marilyn Monroe. Ondulant entre une « conscience endormie » et un « rêve éveillé ». Morrison n'était jamais réellement réveillé, jamais réellement endormi et cela se traduisait dans sa musique. Il disait vouloir instaurer ce silence qui lui permettra d'entendre les frou-frou des ailes d'un papillon et, de ce silence arraché au public, surgit ce cri de fauve repris par des millions de jeunes et des militants : « Nous voulons le monde !!! Et nous le voulons… maintenant ! » Roulements ravageurs de tambours psychédéliques, murmures d'espion dans la maison d'amour, Soft Parade où d'étranges créatures défilent aux rythmes d'un cauchemar psychotrope, Morrison n'a jamais cessé de prôner l'amour libre, l'usage des nourritures célestes, la consommation des boissons fortes, le rejet de la morale puritaine, la révolte contre l'autorité, le militantisme contre la guerre… et tout cela en a fait un personnage remuant que les services de police décidèrent de surveiller de près jusqu'à sa mort trouble à Paris, devancé dans l'au-delà par les deux phares de la vague-rock déferlante, Jim Hindrix le 18 septembre et Janis Joplin le 4 octobre. Mort violente pour les deux alors que le Roi Lézard plaisantait en déclarant mi-figue mi-raisin à ses compagnons de beuverie : « Vous êtes en train de boire avec le n°3 ! ».