Un jour, j'ai rendu visite à un ami dans une clinique de la place, il souffrait d'une dépression. Les premiers jours de son hospitalisation, il était traité conformément aux normes, c'est-à-dire qu'il n'était ni trop gâté, ni lésé non plus, bien sûr. Ultérieurement, et en m'introduisant un jour dans sa chambre, j'étais surpris par les grands soins que lui prodiguait le personnel hospitalier et à leur tête le médecin traitant. C'était une scène insolite pour moi, je n'étais pas habitué à de tels empressements de la part des blouses blanches, je me suis dit que c'était une manière habituelle de traiter les patients dans les cliniques, puisque les soins coûtent très cher. J'ai supposé cela, car je n'ai jamais fréquenté ces dernières et je ne les fréquente toujours pas ; je ne connaissais et je ne connais que les hôpitaux qui sont, comme le savent les habitués de ces lieux, inhospitaliers à cause très probablement des frais ''réduits'' ; peut-être que si ceux-ci augmentaient, l'humeur du personnel s'améliorerait et l'accueil serait meilleur. La réflexion que je venais de formuler à propos du mobile du comportement exemplaire des hommes de la santé du secteur privé n'a cependant pas altéré la haute opinion que j'ai eue d'eux en les voyant à l'œuvre. J'étais émerveillé par leur conscience professionnelle et leur sentiment de bienveillance très développée ; mon admiration pour eux a augmenté quand je me suis rappelé que dans le cas de mon ami, l'essentiel du traitement réside dans les actes de prévenance. Mais cette bonne impression que m'a donnée le traitement qu'on lui a réservé n'a pas duré longtemps, elle s'est vite dissipée, j'avais l'esprit embrouillé. Effectivement, je ne me suis pas encore remis de mon émotion que j'en étais secoué par une autre, je n'étais pas encore au bout de mes surprises : j'ai appris que la raison de ces attitudes attentionnées c'était l'apparition d'une nouvelle maladie ''diagnostiquée'' par le médecin : une lithiase vésiculaire.
Dans une clinique
Cette mauvaise nouvelle a aggravé la situation : mon ami s'est complètement effondré, la famille et les amis alertés, la consternation était générale ; chacun essayait de son côté et de son mieux de le consoler, de lui remonter le moral. Et finalement, grâce à l'intervention d'une parente à lui qui est médecin, il a pu éviter l'opération chirurgicale et échapper à une escroquerie ; elle a convaincu son confrère de son "erreur" de diagnostic ; il était sauvé in extremis. Et là, on a assisté à une volte-face. Notre cher médecin, qui était aimable et très modeste, a complètement changé d'attitude, il est devenu subitement agressif et altier, il lançait à mon ami des regards enflammés comme des boules de feu pleins de ressentiment et de haine ; il ne lui adressait plus la parole, alors qu'il y avait quelques minutes, il était très en familiarité avec lui. Apparemment, le médecin et le malade sont de nature incompatibles ; la bonne fortune de l'un fait la mauvaise fortune de l'autre ; à partir de ce moment-là, en faisant échouer le projet du docteur, mon ami a cessé d'être important, il a perdu de la considération aux yeux du premier. Manifestement, nos cliniques opposent une résistance farouche aux esprits rétifs qui risquent de compromettre leurs traditions, de menacer leurs règlements intérieurs basés sur la "rigueur", ils sont comme les anticorps qui se défendent avec véhémence contre l'intrusion de tout corps étranger. Alors, après cette pirouette, j'ai rectifié mon impression première et je me suis persuadé que, dans une clinique, les prix exorbitants sont une condition nécessaire mais pas suffisante pour bénéficier d'un traitement favorable. Et que pour être estimé et respectable, il faut avoir une santé ruinée et en délabre, plus vous êtes souffrant, plus vous êtes important, moins vous souffrez, moins vous valez, c'est la devise. Cela dit si vous tenez à ce que votre médecin soit affable avec vous, ruinez-vous la santé, il est comme l'agriculteur qui redouble d'efforts et travaille dans la bonne humeur lorsque la terre est fertile et la saison pluvieuse. Donc soyons un terrain fertile pour cette catégorie de médecins, qui nous rappellent ceux de Molière, pour qu'ils aient de l'entrain au travail, pour qu'ils soient gracieux avec nous, ne les contrarions pas, soyons coopératifs en acquiesçant à tous leurs caprices, confions-leur nos vies, ayons pleinement confiance en eux, n'ont-ils pas prêté le serment d'Hippocrate ? Avec l'âge et la dégradation de la santé, je deviens un candidat sérieux pour ce rang privilégié d'homme estimable qui inspire le respect ; et pour maintenir cette estime jusqu'à la fin de mes jours, je ne me comporterai pas comme mon ami, je consentirai sans réticence aucune à toutes leurs décisions. Mais malheureusement là aussi, la condition est nécessaire et non suffisante : en plus de la santé délabrée, il faut les moyens financiers qui me sont récalcitrants. Décidément, même en me ruinant la santé, je ne réussirai pas à être traité comme les grands de la société, à intégrer leur giron. Quelle mauvaise fortune !