Vient de paraître aux éditions « Noukouch Arabia - Arabesques», le dernier recueil de Slaheddine Haddad « à la Goulette, une envie désordonnée de Petite Sicile. » Le titre, à lui seul résumerait l'âme des poèmes : une envie de recréer un monde, de garder confinés sur les pages les vestiges d'un lieu unique où les cultures et les religions se sont côtoyées. Le recueil, comme un requiem, nous plonge au cœur de la Goulette mythique, celle de tous les possibles et des rencontres fortuites… Le recueil débute par un détail des avenues et des rues qui composent la Petite Sicile. La situation géographique nous place de prime abord dans un monde pullulant de vie. Le brouhaha des cafés, les instants de l'existence se font sentir en filigrane de la lecture. Très vite le lecteur prend ses repères et se laisse guider dans l'endroit, parmi ces anonymes que Slaheddine Haddad dépeint furtivement, esquissant à vif leurs portraits. Peu à peu on se laisse envahir par les parfums et les bruits en s'arrêtant par instant devant l'architecture urbaine de la Goulette. Le poète se fait gardien de la mémoire. Il promène son regard dans les avenues et les impasses jusqu'au TGM. Sa plume le suit, saisit l'instant et décrit l'émotion. Le vers libres qu'adopte le poète confère une fluidité au mouvement de l'écriture. Les images se succèdent et se superposent pour donner à voir les lieux. Tel un travelling, les mots défilent, dévoilant l'émotivité que suscite la présence des vestiges du passé ou parfois leur absence qui transcende la mémoire. Les souvenirs de Slaheddine Haddad sont un requiem que traduisent les mots. Une composition personnelle qui fait revivre l'instant de lecture, la Petite Sicile de jadis. L'envie, comme l'annonce le titre, se veut désordonnée. Elle met en exergue l'amour des choses simples, d'une vie qui coule, tranquille, rythmée par le sifflement du train et les vagues de la Méditerranée. Entre les deux, se place la Petite Sicile, avec ses imperfections et sa population, son urbanité et ses petites vies au charme inconnu. Retenir la mémoire se fait certes par le poétique, mais également par le prosaïque. En effet, Slaheddine Haddad incère les citations d'auteurs qui ont foulé cette terre ou y ont vécu. Les mots de Maherzia Amira Bournaz et Christian Degoutte, entre autres, viennent étayer les souvenirs du poète. Pour ce dernier la beauté du corps féminin se confond avec l'architecture de la ville. L'envie désordonnée est celle de l'envie de tout dire, sans mesure, ni contraintes, ni restrictions. Slaheddine Haddad se fait la voix du passé, l'écho du cœur : un cœur aimant, attaché à ce qui rend si particulière la Petite Sicile. Lorsqu'on referme le recueil, on ne peut nier que la promenade à laquelle nous convie le poète se fait en deux temps. Le premier prend ses assises au cœur même de la Goulette. Le deuxième hèle l'esprit même de S. Haddad. Pour les mettre en évidence, viennent s'aligner les mots que les dessins de Adel Tlili explicitent à travers tout le recueil. Le temps fuyant se suspend pendant la lecture. La Petite Sicile devient pour nous un endroit familier et nous répondons avec délectation à l'invitation du poète pour le rejoindre dans son désordre mesuré : « venez tous à moi !/ Peu importe votre nombre, vos angoisses/ Et le repli de vos sourires / sur vous-même. Soigneusement, / Je vous nicherai dans l'ouate inqualifiable / de mon cœur.» Raouf MEDELGI * Editions « Noukouch Arabia - Arabesques», 2010, 94p.