Par notre correspondant à Paris : Khalil KHALSI - Cinq cents ans après la Conquista, voici un film qui met en parallèle la tragédie des Indiens et la répression à laquelle ils sont encore sujets. Après la terre, ils sont menacés de ne plus avoir accès à l'eau, ce sang perdu des ancêtres. Icíar Bollaín (actrice espagnole, mais aussi réalisatrice de «Ne dis rien»), avec l'aide scénaristique du bras-droit de Ken Loach, Paul Laverty, revisite la conquête des Amériques par Christophe Colomb selon un regard inédit: celui des Indiens. Seulement, «Même la pluie» est un film gigogne; s'il relate des événements historiques – en mettant en lumière le discours de ces héros oubliés de l'Histoire qu'étaient les prêtres Las Casas et Montesinos, des sortes de précurseurs des droits de l'Homme, qui voyaient l'âme de l'indigène et condamnaient son massacre –, il actualise le propos par la mise en scène du tournage de ce même film en Bolivie, en 2000, quand les habitants de Cochabamba s'insurgèrent contre une multinationale qui est sur le point de privatiser l'eau. C'est donc sur un triple niveau que se construit le scénario, avant que les trois discours ne convergent vers le même point, à savoir celui des souffrances continues du peuple indien et, plus loin encore, des exactions commises au nom de la religion. De la chrétienté, en l'occurrence, dont l'écho des guerres et des massacres perpétrés à travers les âges continue de résonner dans les voix et les silences de certains peuples. L'image saisissante de cette croix géante, hissée par un hélicoptère au-dessus des vallées sauvages de la Bolivie, est fortement significative. Cependant, «Même la pluie» n'est pas un brûlot contre la chrétienté en soi, mais contre toute religion ou forme d'«idéologie». Là, il s'agit de la mondialisation. Peut-être la plus contestable des religions de la modernité. La conscience du présent Car si l'équipe du jeune réalisateur Sebastián (Gael García Bernal) et du producteur Costa (Luis Tosar) se rend en Bolivie pour recruter des figurants quechuas (qui n'ont rien à voir avec les indigènes des Caraïbes), c'est parce que le décor est ressemblant et que les figurants ne coûtent que deux dollars par jour chacun, et «ils sont contents», comme le dit le cynique Costa au téléphone à son producteur américain. Cependant, la révolte commence à gronder quand les autorités bloquent l'accès à l'eau aux habitants de Cochabamba. Eclatent alors les manifestations et les revendications, les sièges, les arrestations et les meurtres. Au premier rang de la révolte, se trouve Daniel, le principal figurant qui joue le rôle de Hatuey, qui n'était nul autre que l'un des premiers chefs taïnos à combattre les conquistadors. Le combat se répète. À Costa, qui le somme de susprendre ses turpitudes le temps que finisse le tournage, Daniel dit : «L'eau, c'est la vie», avec une rage contenue, presque un désespoir, une désespérance, une amertume reçue en héritage depuis les vieilles générations qui avaient donné leurs vies pour une terre à jamais perdue. Costa ne semble pas comprendre, et peut-être même que les conquistadors ne comprenaient pas. S'installe alors un rapport de force angoissant entre Daniel et la production d'un côté, et le peuple et les forces de l'ordre de l'autre. Le regard du spectateur n'est plus focalisé sur le tournage du film, mais sur la réalité qui dégénère, devenant quasi-apocalyptique. C'est là que continue le film. Là que se passe le vrai film. La première moitié du long-métrage est puissante, quand le parallèle entre les Indiens persécutés par les Conquistadors et les Boliviens indigènes est mis en évidence par une mise en abyme du film tourné – des séquences d'une beauté tragique. Ensuite, dans un élan un peu moins énergique, l'accent est porté sur l'engagement de l'équipe de tournage et la notion de conscience. Le revirement de Costa et la démobilisation de Senbastián (qui était le plus enthousiaste et le plus ému de tous), quoique brutaux, posent clairement la question de l'engagement. Notre rapport à l'Histoire n'est pas le même que celui que nous pourrions avoir avec la réalité. C'est au présent que l'action se conjugue.