Il se joue en ce moment, non seulement dans la rue mais aussi dans les coulisses une véritable bataille au sujet du « Rassemblement Constitutionnel Démocrate » (RCD) ! De l'issue de ce bras de fer entre ceux qui veulent sa mise à mort et ceux qui veulent le préserver d'une manière ou d'une autre dépendra l'évolution réelle du système politique tunisien soit vers la démocratie plurielle soit vers la continuité d'un régime « unanimiste » et mono partisan sous d'autres formes ! Je m'explique: Revenons à l'Histoire de ce parti pour essayer de comprendre pourquoi le RCD est devenu le « Parti-Etat » et le détenteur du monopole de fait de la vie politique en Tunisie. Il faut remonter loin aux sources même du réformisme tunisien depuis Kheyreddine Bacha Attounsi pour voir comment le « Destour » créé par Thaâlbi en 1920 puis le « Néo-Destour » créé par Bourguiba en 1934 se sont appropriés de fait la mémoire « réformatrice » et la culture politique tunisienne dominante basée sur trois vecteurs essentiels : la liberté (Al Horrya) l'égalité ou la justice (Al Adala) et la modernité inspirée de l'Occident mais combinée avec l'identité arabo-musulmane ! Le projet essentiellement développé par Kheyreddine dans son livre « Aqwam al masalek fi maârifati Ahwel Al mamalek » (les meilleures voies pour connaître l'état des nations), publié en 1867, va être la bible en quelque sorte et la base idéologique de tous les mouvements réformistes d'avant le protectorat français (1881) et après, jusqu'à l'indépendance tunisienne en 1956. De Mohamed Essenoussi à Béchir Sfar à Ali Bach Hamba à Abdelaaziz Thaâlbi à Bourguiba, enfin, et ses camarades, tous ces promoteurs de réformes ont été inspirés par la pensée de Kheyreddine et de son groupe de départ composé de Salem Bouhajeb, Beyram V (Al Khames), Kabadou, le général Hassine etc… une véritable culture du « constitutionnalisme » a été construite et développée à partir de là et même la « Zitouna » gardienne de la tradition et de la doctrine islamique tunisienne classique et conservatrice a été rattrapée par cette vague immense du réformisme à travers des cheikhs prestigieux : Tahar et son fils Fadhel Ben Achour et Al Khidhr Hassine qui a émigré ensuite à son exil du Caire en Egypte. D'autres mouvements plus à gauche comme le parti communiste tunisien ou l'UGTT ont été aussi très inspirés par les fondements idéologiques de cette culture. Mais avec l'indépendance le Néo-Destour principal artisan de la lutte finale pour la libération nationale et grâce d'une part à sa structuration largement diffuse dans le corps social tunisien, et d'autre part son alliance stratégique avec l'UGTT, le syndicat de la classe ouvrière, ce parti dominant a fini par « contrôler » systématiquement et totalement la vie politique tunisienne. De fait il a « confisqué » au nom de sa légitimité historique, la légitimité politique toute entière de la nation. Désormais aucune légitimité politique, aucun courant d'idées, aucun parti, ne pouvait prétendre à la différence ou même à l'existence sans s'allier au néo-destour ou avoir sa bénédiction ! d'où ces partis en cartons qui gravitent à la périphérie du RCD. Avec le 7 novembre 1987 les choses ont empiré. Avec le verrouillage hermétique de la vie politique au profit du seul dictateur, le système du « parti-Etat » est devenu tout simplement l'instrument privilégié de l'anesthésie générale de la société tunisienne. De fait le Parti du Néo-Destour, devenu entretemps le RCD, a totalement « disparu » en tant qu'héritier et porteur de la culture libérale et constitutionnelle dominante depuis Kheyreddine. Il est devenu tout bonnement l'organe fondamental de légitimation, de mobilisation et de pérennisation du système totalitaire de Ben Ali et de son épouse! C'est dire l'enjeu immense de cette nouvelle bataille autour du RCD devenu un peu « la Bastille » que les élites de la Révolution du Jasmin veulent détruire à tout jamais, et avec elle l'éventualité de la « re-naissance » du Léviathan « Al Ghoul) ennemi de la liberté politique en Tunisie ! Alors et partant de ce qui précède doit-on au nom de la « non exclusion » donner une nouvelle chance de survie au RCD même avec une nouvelle dénomination et composition qui lui permettront de renaître de ses cendres, ou doit-on exiger son élimination totale de la vie politique parce qu'avec lui toute alternance démocratique est de fait impossible à imaginer et à mettre en œuvre ? En fait tout dépend de la volonté réelle du peuple tunisien et de la classe politique plurielle en Tunisie. Si l'on veut sérieusement sans détour, ni manœuvre, instituer un système démocratique avec comme base l'alternance politique possible et réellement opérationnelle par des élections transparentes et libres, le RCD comme parti dominant n'a plus sa place en Tunisie. Il doit disparaître les destouriens honnêtes qui ont été éliminés par le dictateur, et ils sont nombreux, doivent eux-mêmes le comprendre et l'approuver s'ils veulent que leurs enfants vivent dans un pays de démocratie libérale à l'avenir. Ils peuvent s'allier à d'autres courants créer de nouveaux partis et pas forcément – un seul parti – Mais ils ne peuvent et doivent s'accrocher à cette machine de destruction massive de la liberté en Tunisie car il n'y a pas de démocratie réelle sans alternance au pouvoir ! K.G