Par Hechmi Ghachem - Je venais à peine d'arriver au journal quand je reçus une communication téléphonique de ma sœur qui réside à Sousse. « Tu n'as jamais écrit sur quelque chose qui me concerne et aujourd'hui, je voudrais que tu le fasses ». Depuis le temps que je trime d'un périodique à un autre quotidien, c'était bien la première fois qu'une telle demande m'était faîte. Que s'est-il donc passé d'aussi extraordinaire ? « Pas grand-chose à première vue, me dit-elle, mais j'ai ressenti aujourd'hui en sortant dans la rue pour faire mes courses, une joie depuis très longtemps oubliée. Cela relève plus des sensations intérieures que de faits marquants. Tu n'es pas sans savoir que depuis plusieurs semaines, voire quelques mois, je ne me sentais pas bien du tout. J'avais l'impression qu'une force diabolique allait exploser dans mon corps. J'avais peur d'affronter la rue et vivais presque claustrée n'osant sortir qu'accompagnée et de préférence en voiture. Dieu sait pourtant combien j'aime les gens et la rue et c'était là un des plus précieux cadeaux du ciel qu'il m'ait été offert – mon travail que j'ai exercé pendant quelques trente ans - me mettait quotidiennement en contact avec les gens du peuple. J'aime la société où je vis et ne peux exister séparée de ceux qui sont nos frères et sœurs, voisins - voisines, cousins – cousines, collègues et concitoyens… Notre peuple est notre joie de vivre malgré les aléas de l'existence et – heureusement pour nous, nous sommes de ce peuple, nous l'avons toujours été et nous ne le renierons pour rien au monde. Ce matin du samedi de 29 janvier 2011, je suis donc sortie à pied pour faire mes courses. Cela ne m'est pas arrivé depuis une éternité. Quelle n'a été ma surprise quand hélant un taxi, ce dernier s'arrêta avec douceur et le conducteur me salua gracieusement avant de m'inviter poliment à m'asseoir. Nous n'étions plus habitués à autant de civilité. Tout au long du marché et aux alentours, des ribambelles de petits commerçants improvisés vendaient de petites « choses » tantôt utiles tantôt sans intérêt. Mais certains de ces marchands priaient les passants au nom d'une fraternité retrouvée à leur acheter leurs produits même s'ils ne leur servaient à rien. Juste par solidarité et - aussi bizarre que cela puisse paraître – les gens achetaient. Les gens du peuple tunisien s'aiment entre eux. Quel est le diable qui les a montés les uns contre les autres ? L'argent ? Le pouvoir Où le pouvoir de l'argent ? Bref, c'était une véritable balade de printemps que de faire mes courses parmi cette foule rayonnante de bonheur. Arrivée à l'entrée de la Médina, j'étais trop fatiguée pour pousser jusqu'au marché central et j'avais besoin de pois chiches. J'ai repéré une gargotte de « Lablabi » et j'allais demander à son tenancier s'il pouvait me vendre quelques pois chiches vu que j'étais trop fatiguée pour aller jusqu'au marché. Il ouvrit le frigidaire, me tendit un petit sac et refusa catégoriquement de toucher la pièce de monnaie que je voulus lui donner en échange. Tout le temps que dura ma tournée c'était de « ma sœur par ci, mon frère par là ». Est-ce que je rêve ou suis-je dans la plus folle des réalités. Sommes-nous redevenus ce peuple joyeux et pacifiste que nous avons toujours été ? Si c'est un rêve, je prie pour qu'il ne soit jamais… souillé ! »