L'ambiance continue d'être tendue dans certains établissements universitaires alors que dans d'autres, la reprise s'est déroulée dans un calme très relatif. Cependant en interrogeant les étudiants sur l'état d'esprit dans lequel ils passent leurs épreuves, on relève que peu d'entre eux ont le cœur à reprendre les examens et les cours. Hier mardi, nous avons eu quelques entretiens avec les candidats à la sortie de leurs salles. Ils nous ont tous déclaré que les conditions mentales et psychologiques dans lesquelles ils se sont présentés aux examens n'étaient pas du tout bonnes. Les uns disent qu'ils n'avaient pas bien révisé pendant les deux semaines d'arrêt des cours et ce en raison des événements que le pays connut et connaît encore. Les autres affirment que la capitale n'est pas encore assez sécurisée pour que les étudiants se consacrent à leurs études. L'un des étudiants interrogés nous confia que ces derniers jours, il passait ses épreuves sans être certain de rentrer chez « sain et sauf » chez lui. Autour de lui, au foyer, dans les buvettes et à la faculté, on ne parle que de braquage, de lynchage d'étudiants, d'attaques à mains armées visant les passants et même d'enlèvements d'enfants et de jeunes filles. Une reprise risquée ? On parle aussi d'un étudiant qui, la veille (lundi soir) a été violenté à l'entrée du foyer privé où il réside aux environs de la Kasbah. Une étudiante de la même classe dit avoir passé une nuit de terreur le même soir. Toutes ses camarades craignent désormais pour leurs corps et leurs vies. Pour certains autres étudiants, ce n'est pas encore le moment de regagner les salles de classe : « Pendant l'arrêt des cours, nous étions pris par l'élan révolutionnaire et par la participation aux manifestations et aux comités de quartiers plutôt que par les études, précise le jeune Monêem. Ce devoir primait tout le reste pour moi et mes camarades, ajoute-t-il. » Leurs professeurs ont d'ailleurs relevé la perturbation et cette sorte de distraction qui caractérisaient les candidats dans les salles d'examens. On nous rapporte que dans l'une des salles, la plupart des étudiants avaient remis leurs copies bien avant la fin de l'épreuve et que nombreux étaient ceux qui n'avaient presque rien écrit sur ces feuilles. D'ordinaire, les candidats dépassent le temps imparti et grignotent toujours quelques minutes avant de rendre leurs copies. Ce n'est pas tout à fait le cas cette fois, d'après les enseignants qui ont surveillé les premières épreuves. Violences entre étudiants En plus de cette atmosphère tendue et peu propice au déroulement normal des études et des examens, des échauffourées ont eu lieu dans certains établissements entre les étudiants pour des raisons d'appartenance idéologique. Ainsi en était-il hier matin à l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (l'ex-lycée Ibn Charaf) : un certain nombre d'étudiants s'en sont pris à l'un de leurs camarades qu'ils accusaient de « collaborer » avec des policiers en civil. Craignant d'être lynché, ce dernier se réfugia dans un bureau de l'administration de l'Institut. Ses traqueurs tinrent bon à ce que les fonctionnaires le leur livrent. Ils menacèrent même de tout casser si leur demande n'était pas exaucée. Il fallut près d'une heure pour les ramener à la raison et disperser le rassemblement qui se tint autour d'eux dans le hall de l'établissement. Ce sont quelques professeurs et des membres de l'administration qui les calmèrent et les invitèrent à se rendre dans les salles d'examens pour les épreuves de l'après-midi, en leur promettant de revenir avec eux plus tard sur le rôle néfaste joué par les étudiants du R.C.D. Des professeurs pas sereins du tout En ce qui concerne les professeurs, et bien que disposés à assurer convenablement cette reprise difficile pour tous, ils ne semblaient pas complètement sereins. Leur syndicat les invite néanmoins à se mobiliser pour que les examens se déroulent dans des conditions acceptables. Il les appelle par ailleurs à entamer le deuxième semestre par des débats larges avec les étudiants sur la « révolution », sur l'action syndicale estudiantine et sur les problèmes de l'enseignement supérieur. D'autre part, on les prévient contre toute provocation ou agression verbale ou physique visant des enseignants du R.C.D. On a également distribué un manifeste dans lequel la Fédération Générale de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique précise sa position quant aux violences de vendredi dernier à la Place de la Kasbah. Le syndicat du supérieur y exige que le gouvernement provisoire présente des excuses publiques aux victimes des violences exercées ce jour-là contre les manifestants, qu'une enquête soit ouverte pour délimiter les responsabilités dans les exactions enregistrées vendredi, de prendre les mesures et les précautions qu'il faut pour que les abus de ce genre ne se reproduisent plus. On attend également des médias qu'ils renoncent à la langue de bois et qu'ils observent l'objectivité dans les informations qu'ils diffusent.