Nous avons assisté, vendredi 11 mars, à une rencontre organisée au Club Tahar Haddad sur le rôle de la femme dans les deux révolutions tunisienne et égyptienne. Les principales intervenantes ont chacune sous un angle différent souligné la contribution féminine aux deux soulèvements historiques. Mais elles ont également déploré que l'après-révolution n'ait presque pas fait cas de cet apport et ait perpétué les exclusions sexistes tant sur le plan politique que dans les médias. En Tunisie, notamment, le nombre des ministres et des secrétaires d'Etat femmes est en effet resté extrêmement réduit dans la composition des trois gouvernements provisoires. On peut par ailleurs facilement remarquer que la participation féminine aux débats politiques sur nos chaînes de radio et de télévision tunisiennes et égyptiennes fut extrêmement faible ; sans doute à dessein, pensent les invitées du Club Tahar Haddad. Nous devons à la vérité, néanmoins, de reconnaître que les rares interventions féminines à la télé furent rarement brillantes et que, pour ce qui concerne les militantes tunisiennes, on ne peut pas dire qu'elles aient crevé l'écran par leurs analyses tout juste moyennes de la situation dans le pays. Pas assez convaincantes Sihem Ben Sedrine fit quelques coups d'éclat les premiers jours et ne persuada visiblement pas beaucoup de monde ; Maya Jeribi rata lamentablement l'une de ses apparitions ; quant à Noura Borsali elle manquait souvent d'assurance dans ses différentes déclarations ; sinon elle n'était pas au fait de toutes les données du sujet proposé par les animateurs qui l'invitaient. Souheir Belhassine, elle, sut à chaque fois tirer son épingle du jeu en faisant preuve sur nos chaînes comme à la télévision française de lucidité et de modestie. Avec Radhia Nasraoui (frustrée comme toujours de télévision), ce sont là, malheureusement, nos militantes de l'opposition les plus connues sur l'échiquier politique et dans le paysage médiatique national et international. A la télé, les quatre premières figures ont dans l'ensemble été éclipsées par les très nombreuses, les très variées et les très fines interventions masculines. Nous ne pensons pas qu'une parité au niveau du nombre d'apparitions aurait inversé la tendance en faveur des femmes. Durant des décennies, nos principales opposantes travaillèrent soit dans l'ombre (tout court) soit dans l'ombre d'un ou de plusieurs hommes politiques. D'autre part, leur combat quasi exclusif en faveur des droits de l'homme ou de la cause féministe les cantonna dans une vision forcément parcellaire des réalités du pays. D'une certaine manière, elles s'étaient « spécialisées » dans un domaine de la contestation et s'auto-exclurent quelque peu des grands débats à caractère politique, économique et social. Ajoutez à ces facteurs l'indépendance politique de la plupart de ces opposantes et le peu d'occasions qui leur étaient offertes pour prendre la parole, vous comprendrez pourquoi les invités masculins de nos télévisions et de nos radios parlèrent nettement mieux que les femmes. Question d'audimat aussi pour ces chaînes ! Quoi qu'on ait comme réserves contre Hamma Hammami, Abid Briki, Mohamed Néjib Chebbi, Rached Ghannouchi, Chokri Belaid, Soufiène Ben Hamida, Nasreddine Ben Hadid, on ne peut nier que tous ces « hommes » ont tenu la dragée haute à leurs interlocuteurs ou à leurs vis-à-vis respectifs durant les émissions auxquelles ils prirent part. Leurs multiples prestations furent globalement réussies et régulièrement cohérentes et lucides. Nous ne plaidons guère pour une supériorité masculine dans le domaine politique, mais demeurons convaincus que nos opposantes ont du chemin à faire pour s'y illustrer autant que les hommes. En s'engageant peut-être plus dans l'activisme partisan. A quand le procès des femmes du RCD ? A ce propos, nous avons constaté que dans les divers procès dressés contre l'ancien régime, on fit presque abstraction des « femmes du R.C.D. ». Alors que les « hommes » de ce parti désormais dissous furent lynchés un peu partout, l'écrasante majorité des RCDistes en jupons passèrent entre les mailles du filet et échappèrent ainsi à la mise en examen individuelle et collective. Dieu sait pourtant que nombreuses sont les « militantes » du RCD qui abusèrent de leur pouvoir et dilapidèrent l'argent public dans l'embrigadement des tunisiennes jeunes et moins jeunes, voire même dans le dévergondage de certaines femmes et de certaines filles. « Rabatteuses » à leur manière, elles recrutaient parmi les intellectuelles, les fonctionnaires, les ouvrières et aussi parmi les sans emploi, des « claqueuses » pour accomplir une tâche unique : applaudir en toutes occasions les mesures et les discours de Ben Ali et de son épouse Leila. Dans les meetings qu'on organisait en l'honneur de « la régente de Carthage », on amenait de tous les coins du pays une foule impressionnante de femmes et d'adolescentes à qui sont payés l'hébergement, la nourriture et le shopping durant une semaine et plus s'il le faut. Toujours avec l'argent du contribuable, bien évidemment ! Les femmes du RCD défigurèrent la cause féministe et renvoyèrent une image caricaturale de la participation de la Tunisienne à la chose publique. Pourquoi Borsali, Ben Sedrine, Jéribi et Belhassine oublient-t-elles de faire le procès de ces « soubrettes » du régime de Ben Ali ? Il n'y a pas que les hommes au pouvoir qui aient nui à leur action. Retrouver ses ardeurs d'antan D'autre part, l'heure est peut-être venue de mobiliser davantage de jeunes filles pour assurer la relève dans les rangs des activistes qui militent en faveur d'un statut toujours meilleur de la femme sous nos cieux et dans le monde. Parmi les étudiantes, les enseignantes, les écrivaines, les artistes et les fonctionnaires, nos mouvements engagés dans la cause féminine trouveront sans peine du renfort de qualité à leur action. Les ouvrières ne sont pas en reste. Car il ne faut pas s'enfermer dans un militantisme d'élite sociale ou intellectuelle. Il n'est pas intelligent non plus de limiter le combat des femmes à la confrontation entre les sexes. La Tunisie nouvelle a besoin de l'apport de ses hommes et de la contribution de ses femmes. Il importe que celles-ci s'intéressent davantage à la gestion des affaires politiques, économiques, sociales et culturelles du pays et se détournent de temps en temps de leurs médiocres penchants de consommatrices invétérées. Nous devons tous hommes et femmes nous rendre malheureusement à l'évidence que l'ère de Ben Ali fut catastrophique pour l'image de la femme tunisienne. Elle n'en fut pas moins désastreuse pour la « virilité » politique des hommes de ce pays. C'est pourquoi les uns et les autres sont appelés à sortir de la « ménopause » et de « l'andropause » forcées et précoces auxquelles ils furent condamnés durant plus de 20 ans. La Révolution est de ce point de vue, un bon « Viagra » pour tous !