• Des femmes témoignent de leurs"années de braise" sous l'ancien régime Le ministère des Affaires de la femme et celui des Affaires étrangères ont organisé, vendredi dernier, une conférence internationale ayant pour thème: «La femme et le vote: droit et culture». Cette rencontre, placée sous l'égide du Président de la République, a été l'occasion pour les responsables et experts tunisiens mais aussi africains, européens et américains de présenter leurs expériences respectives en matière d'instauration des principes de l'égalité des genres à l'échelle politique. Les intervenants se sont exprimés sur l'importance de la contribution féminine dans l'essor de la vie politique et dans la concrétisation des droits de l'Homme et de la démocratie, appelant à la promotion de cette participation et la consolidation des acquis féministes dans le monde. Présidant l'ouverture des travaux de cette conférence, Mme Lilya Laâbidi, ministre chargée des Affaires de la femme au sein du gouvernement provisoire, a indiqué que le traitement de ce thème acquiert deux importants aspects dont l'un est actuel et l'autre symbolique. Actuel, puisque la Tunisie s'apprête, et pour la première fois, à organiser des élections transparentes et crédibles. Quant à l'aspect symbolique, il réside dans la célébration du droit de vote pour les femmes tunisiennes. «D'ailleurs, nous avons axé toutes nos activités pour le mois de juin à la célébration de deux dates historiques, à savoir le droit de vote et la création de l'Armée nationale», fait remarquer la ministre. Elle a rappelé que la femme a toujours participé à la lutte pour la liberté. Les victoires de l'Indépendance et du 14 Janvier reviennent, également, à la contribution féminine. Elle a indiqué que le plan du ministère consiste, actuellement, en l'ancrage des principes de la citoyenneté et de la démocratie auprès des femmes tunisiennes; des actions menées essentiellement par des bénévoles. De son côté, M. Mouldi El Kefi, ministre des Affaires étrangères, a rappelé que la femme tunisienne, toutes générations confondues, a participé efficacement à la Révolution populaire. Il a également indiqué que la femme était à l'origine de l'indépendance. Il a remonté dans la mémoire collective à l'ère carthaginoise, rappelant que c'est bel et bien une femme, la reine Didon, qui a bâti Carthage. «Dieu sait combien avons-nous de Didon actuellement», note-t-il. Pro-féministe incondétionnel, le ministre a indiqué que le nombre d'étudiantes est supérieur à celui des étudiants et que le rendement des femmes actives est nettement plus convainquant que celui des hommes. Le ministre a rappelé, en outre, que la femme tunisienne a eu droit au vote bien avant certaines femmes européennes. Tout ce rappel montre que la femme tunisienne a son mot à dire et qu'elle jouera un rôle important dans la construction de la nouvelle Tunisie. «Et pourquoi pas une femme présidente de la République?», s'interroge-t-il. Le militantisme féminin sud-africain: un parcours glorieux Prenant la parole à son tour, Mme Lulama Wingwana, ministre des Affaires de la femme en Afrique du Sud, a rendu hommage à la Révolution tunisienne qui a été le déclencheur des révolutions populaires et pacifiques dans la région. Elle a salué l'initiative tunisienne pour l'échange d'expériences en matière d'implication de la femme dans la vie politique. Cette année, la femme dans le monde célèbre le centième anniversaire de la Journée internationale de la femme; une occasion pour la ministre sud-africaine de retracer le parcours des femmes en Afrique du Sud vers la participation à la vie politique. En effet, ce parcours traduit une volonté inébranlable de s'imposer en tant que citoyenne et en tant partenaire actif dans le développement tous azimuts. Dans les années cinquante, la femme sud-africaine a participé au congrès pour la lutte contre la ségrégation. La fédération des femmes sud-africaines a permis de mettre en place une charte, imposant les droits de la femme. Puis, grâce à l'ANC, le militantisme féminin a réussi à décrocher des quotas importants pour la représentation féminine au gouvernement. Actuellement, les femmes sud-africaines comptent 45% du Parlement. «Mais ce n'est toujours pas suffisant. Nous aspirons à une égalité absolue entre les hommes et les femmes dans les postes de décision», indique Mme Xingwana. Durant la séance d'inauguration, M. Mohamed Bel Hedi a lu la lettre adressée par une militante sud-africaine dans laquelle elle insiste sur la nécessité de faire face aux inégalités que la femme continue d'endurer partout dans le monde. Familles des martyrs: pour la pénalisation des criminels Le premier panel de cette conférence a été entamé par un prélude poétique, assuré par deux figures importantes de la poésie tunisienne moderne, à savoir la poétesse Fadhila Chebbi et le poète Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed. La première a récité un poème dédié aux martyrs de la révolution. Elle a relevé, également, le problème de l'oppression et de l'absence de liberté d'expression dont souffrait le peuple tunisien tout au long des décennies de dictature. Prenant la parole, M. Ouled Ahmed a déclamé deux poèmes. Le premier s'articule autour du thème de la femme. Empreint d'humour, il met l'accent sur la grandeur du féminin dans la langue arabe. Le second poème traite de l'identité tunisienne, unique et inébranlable. Il relate aussi la souffrance de l'homme de culture et du poète qu'il est sous l'ancien régime. Par la suite, une projection d'un film documentaire a ému l'assistance, en effet, par un ensemble de témoignages récoltés auprès des mères des martyrs. Ces mères en pleurs racontent la mort subite de leurs enfants. Elles réclament la pénalisation des miliciens et des responsables qui ont été à l'origine de ces crimes. «Nous nous sommes rendus chez toutes les familles des martyrs pour récolter leurs témoignages. Ce sondage sera achevé dans le plus bref des délais. Il comptera en tout 300 témoignages», précise M. Taoufik Bou Derbala, président de la Commission nationale d'investigation sur les violations et les abus. Oeuvrant de son côté, l'association «Awfia» pour les familles des martyrs et les blessés de la révolution oeuvre à cet effet. Mme Lamia Ferhani, présidente de ladite association et soeur d'un martyr, insiste sur l'indispensable appui des familles dépourvues de moyens et d'assistance psychologique et juridique. «Nous tenons au principe de la pénalisation des criminels et à l'hommage que méritent nos martyrs. Je saisis cette occasion pour lancer un appel aux partis et aux composantes de la société civile pour conjuguer leurs efforts dans l'optique de rendre justice et de réussir, ainsi, la transition démocratique», indique M. Ferhani. Le juridique au service du féminin Le deuxième panel de cette conférence internationale a été axé sur les expériences internationales en matière d'implication de la gent féminine dans la vie électorale et dans la culture de citoyenneté. Mme Chantal Thomas, professeur de droit à l'université Cornell aux USA, a rendu hommage à la révolution tunisienne. Elle a souligné son impact sur la mémoire collective, le courage et le sacrifice pour la récupération de la liberté et de l'égalité. Elle a indiqué que le rôle de la femme tunisienne dans le leadership est insoupçonné. «Cependant, comment peut-on continuer ce parcours et rendre justice? Et quel rôle pour le cadre juridique?», s'interroge-t-elle. Il faut dire que la mise en place de textes juridiques n'est pas toujours synonyme d'application sans faille. Aux USA, les femmes continuent d'endurer l'inégalité sociale. La mobilisation politique et sociale sert d'appui au contexte juridique. Le rôle de la femme dans la garantie de la parité électorale constitue un appui important pour la mise en oeuvre des droits juridiques. Mme Thomas rappelle que l'un des objectifs du nouveau millénaire consiste en la garantie de l'égalité des genres. C'est dire l'importance de la parité tant sur le plan politique que celui, socioéconomique. «Les études montrent que les femmes actives consacrent une grande partie de leur revenu à leurs foyers. Cela influe positivement sur le niveau de vie des ménages», indique l'oratrice. Et d'ajouter que les stratégies de développement doivent prendre en considération l'aspect juridique et les conditions de travail dont l'impact est souvent de taille et sur le rendement et sur l'épanouissement professionnel des employés. Parité absolue: entre aspirations et contraintes Pour sa part, et toujours dans la même optique pro-féministe, Mme Noura Borsali, membre de la Haute instance pour la réforme politique, a informé l'assistance sur le dilemme qu'a connu l'instance en matière d'égalité des genres dans le projet électoral. Mme Borsali a indiqué qu'instaurer le principe d'égalité absolue entre les genres constituerait un acquis historique en Tunisie. Ce principe a connu certaines réticences de la part de certains membres de ladite instance et ce, pour diverses raisons. Certaines associations féministes ont opté pour le système de quotas à raison d'une présence féminine de 30%. D'autant plus que les représentants de certaines régions, notamment le Nord-Est, le Nord-Ouest et le Sud, ont avancé que l'égalité absolue entre les genres va à l'encontre de leurs moyens. «Plus encore, 99, 3% des membres trouvent que l'égalité absolue entre les hommes et les femmes n'est pas garante d'une présence féminine dans la Constituante digne de son rang et de ses mérites. Ainsi, la parité absolue peut s'avérer un moyen pour remplir les listes et une contrainte pour certains partis politiques», note Mme Borsali.