Ainsi donc, l'affaire Dominique Strauss-Kahn semble tourner en faveur de ce dernier ; l'ancien directeur du Fonds Monétaire International (FMI) a, depuis vendredi, des chances de voir les charges retenues jusque-là contre lui s'alléger considérablement. Mais, quelle qu'en soit l'issue finale, le procès est déjà inscrit dans les annales des « scandales » à caractère privé et politique à la fois. Chez nous, et mis à part certains procès montés de toutes pièces contre des personnalités d'opposants du temps de la dictature, on peut difficilement dénoncer les abus sexuels commis par les hommes politiques. Des cadres très haut placés ont fait l'objet du temps de Bourguiba et de Ben Ali de rumeurs accablantes dans certaines sphères privées. On a également parlé des frasques sexuelles de tel ou tel membre du RCD. Aujourd'hui, on peut lire dans un récent livre sur le président déchu plusieurs révélations sur ses aventures extraconjugales. Seulement voilà, des dossiers pareils doivent être fortement documentés et fournir des preuves indéniables contre la personnalité coupable d'abus sexuels. Il faudrait aussi des témoignages de plaignants et de plaignantes pour appuyer l'accusation. Qui en Tunisie et dans le monde arabe ose aborder de telles questions restées forcément taboues et exposant toujours celui qui ose lever ces interdits à des poursuites déchaînées, revanchardes et implacables ! Avant la Révolution, on a certes décrété des lois contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Ces textes ont-ils favorisé la divulgation des secrets relatifs aux abus sexuels des employeurs sur leurs employés ? Peu probable ! A-t-on entendu parler d'affaires de ce genre portées en justice contre un patron puissant ? Il semble que les victimes de ces outrages soient sans réelle défense contre leurs agresseurs ! Les organisations et associations féministes ou des droits de l'homme déploraient autrefois le mutisme forcé de la plupart des victimes. Leurs militants et militantes n'ont peut-être pas fait assez pour lever le tabou sur le sujet et dénoncer sur la base de témoignages et de pièces accablants les auteurs des abus sexuels quels que soient les rangs qu'ils occupent dans la société ou dans la sphère politique. Vœu pieux ? « Plus jamais peur ! », dit le titre de l'un de nos tout nouveaux films. Est-il possible désormais de voir les victimes d'abus sexuels traîner en justice leurs agresseurs. Il y a moins de deux mois, un jeune manifestant arrêté dans la rue osa prétendre que dans les locaux de la police, l'un des agents qui l'interrogeaient l'avait violé. Nous ignorons pour le moment les suites de cette affaire, mais les lecteurs se souviennent sans doute du bruit qu'elle déclencha notamment parmi les défenseurs des droits de l'homme et les jeunes face-bookers. Il faudrait cependant souligner que la peur paralyse beaucoup de personnes (en particulier de sexe féminin) lorsqu'il s'agit de dénoncer le viol, la tentative de viol, le harcèlement sexuel dont elles font l'objet surtout si l'auteur de l'abus dispose d'assez de pouvoir pour retourner l'accusation contre sa victime et lui faire regretter sa plainte. Rappelons aussi que les Tunisiens et les Tunisiennes sont relativement mal informés sur leurs droits face à de telles situations et sur la résistance juridique à opposer aux agresseurs sexuels influents ! Dans la nouvelle République que nous comptons construire, les lois doivent s'appliquer contre tous et de la même façon ; personne et surtout pas parmi les politiques ne doit jouir de l'impunité ni dans les scandales sexuels ni dans les autres affaires louches. C'est de dignité humaine qu'il s'agit, c'est-à-dire de ce pour quoi notre révolution s'est déclenchée. Libérons donc la parole dénonciatrice de tous les abus. Libérons également les victimes condamnées jusque-là au silence dégradant sur les crimes de leurs bourreaux. Si un jour, sur notre sol, cette peur de l'agresseur et de son pouvoir est vaincue, il est certain que nous aurons franchi un pas énorme vers la réhabilitation de la dignité humaine. Puissent donc les abusés et les harcelés de notre pays et ceux du monde arabo-musulman s'affranchir totalement des chaînes dont on les lie et des baillons dont on les musèle ! Pourvu que ce ne soit pas qu'un vœu pieux !