De quoi parlent les simples citoyens, ceux qui n'ont pas accès aux divers médias ? Nous sommes allés vers ces anonymes qui forment la majorité de la population et ils nous ont raconté leurs peurs et leurs espoirs… Les questions qui reviennent le plus souvent sont relatives aux montagnes d'ordures, puis vient la sécurité avec la multiplication des braquages en plein jour, tandis qu'une majorité rêve d'un retour au calme et la fin des désordres et des revendications excessives. Depuis plusieurs semaines, Tunis rappelle Naples ou Palerme au temps où ces deux villes croulaient sous les ordures ménagères, sans que les pouvoirs publics n'apportent de solution définitive au problème. Aucune rue n'échappe à ce phénomène, jusqu'à la maison de la culture Ibn Rashiq, encerclée par un bouillon de culture microbienne.
Pas d'accord définitif
La porte de France, passage obligé des touristes vers les souks, est également obstruée par des tas d'immondices qui sont loin de sentir le jasmin. Dans certaines rues piétonnes, comme la rue de Marseille, les commerçants ont uni leurs efforts et ont mis la main à la poche pour nettoyer cet espace de restaurants et de boutiques. Ils ont en effet loué un camion et quelques ouvriers pour tout nettoyer, moyennant la somme de trente dinars, alors que le prix ne dépassait pas les vingt Dinars pour enlever les déchets de construction. Selon les affirmations du secrétaire général adjoint de l'UGTT, Abid Briki, sur une radio tunisienne, la grève des éboueurs devait prendre fin lundi dernier. Mais des difficultés de dernière minute ont empêché l'accord tant attendu par les tunisois. La reprise du travail et la levée des montagnes immondices qui jonchent la capitale et ses cités alentour ne sont donc pas pour tout de suite. En effet, deux questions restent à régler : celle de la mise en œuvre de l'accord et la date de son entrée en application. Autre préoccupation majeure des Tunisiens : les braquages qui deviennent de plus en plus fréquents et qui se font en plein jour, en plein centre ville et dans des rues passantes ! Ils peuvent survenir dans les bus, les métros ou à l'entrée d'un immeuble. Ils ont lieu souvent avec des menaces, mais ils peuvent tourner à l'agression physique si l'on résiste un peu…
Deux portables en une semaine !
Un jeune homme à l'aspect frêle se plaint : « j'ai été braqué deux fois dans la même semaine dans le quartier de Lafayette, en début d'après midi. La première fois deux jeunes voyous m'ont pris mon portable et vingt dinars et la seconde fois, deux autres m'ont arraché un second portable que je venais d'acheter. Depuis, je n'ose plus sortir seul de la maison, je me fais accompagner par mon frère ou par un voisin… » Le pire, c'est qu'il y a parfois des policiers tout près, mais qui refusent d'intervenir. Une dame à qui un jeune voyou a volé son porte monnaie raconte sa mésaventure : « j'ai sorti mon porte monnaie pour payer un commerçant ambulant, mais avec une rapidité fulgurante, un jeune d'à peine quinze ans me l'a arraché des mains et s'est enfui. Un policier tout proche a vu la scène, mais n'a pas levé le petit doigt pour le rattraper, arguant que ce n'est pas sa mission… »
Grèves sauvages
Plus généralement, nombre de nos concitoyens nous ont signalé divers points qui les préoccupent, notamment les grèves et les désordres qu'elles occasionnent. Un retraité raconte : « j'ai été à la poste pour retirer ma maigre pension, mais ils faisaient la grève. Je suis un ancien fonctionnaire et je comprends qu'il y a des problèmes de précarité de l'emploi. Mais ce n'est pas le moment de faire des revendications excessives. Lorsqu'on aura élu un nouveau gouvernement, on pourra revendiquer dans la légalité… » Et c'est vrai que pratiquement tous les secteurs ont été touchés par des grèves sauvages. Nous nous sommes rendus mercredi matin à la place Mohamed Ali, siège de l'UGTT et là une foule hétéroclite criait toutes sortes de slogans. A la fenêtre, un syndicaliste de Tunisie Télécom haranguait la foule à l'aide d'un haut parleur portatif, critiquant à tout va les responsables de cette institution, mais aussi le gouvernement, le système, le premier ministre… Et c'est justement ce type de revendications à tout va qui commence à soûler bon nombre de Tunisiens, à l'image de ce groupe de travailleurs manuels, réunis pour une pause café : maçons et peintres en bâtiment ont un avis définitif sur la situation. L'un d'eux résume la situation : «les Tunisiens devraient apprendre à travailler d'abord, et à revendiquer ensuite. Or on ne voit que des gens qui revendiquent sans jamais travailler sérieusement. L'Etat ne peut pas faire de miracles… » Comme quoi, on peut avoir un niveau scolaire modeste et faire une analyse logique et sensée…