Ce sont bien les Etats-Unis qui l'ont liquidé physiquement, mais c'est avant tout le printemps arabe – dont l'épicentre restera pour toujours la Tunisie – qui avait achevé politiquement, religieusement aussi Oussama Ben Laden. Or, au-delà des intrigues, au-delà du jeu de cache-cache de Washington et de la frustration européenne pour n'avoir pas été mise au parfum, voilà que la mort de Ben Laden alimente les spéculations quant à son héritage, quant à l'avenir d'Al Qaïda. En a-t-on fini avec la mouvance intégriste ? Washington, Paris, Londres, Bonn s'empressent d'alimenter de nouvelles peurs. En d'autres termes on ne sait pas vraiment si l'on en a fini avec le terrorisme intégriste et, en soi, cette question aussitôt mise en avant, mise en scène même avec des alertes partout (et en tous les cas là où se trouvent les intérêts géostratégiques de l'Amérique) est porteuse d'un message clair : Ben Laden serait peut-être plus nocif mort que vivant. Sans doute le triomphalisme et la liesse, avant-hier, devant la Maison Blanche se justifient-elles. Ben Laden a en effet anéanti des milliers de vies humaines en attaquant les Tours Jumelles. Et si, dans sa rage vindicative et même démentielle, Bush en a fait un prétexte pour dépecer l'Irak, pendre Saddam et détourner le pétrole irakien, la traque du fondateur d'Al Qaïda n'a pas été vraiment au-dessus de tout soupçon. A croire d'ailleurs que les néo-conservateurs autour de Bush avaient davantage intérêt à le maintenir en vie pour légitimer les dictateurs (dont Ben Ali) supposés être « les ennemis de l'intégrisme ». Après coup, cela s'avère exagéré et même subversif. Car cela s'apparentait à une forme d'équilibre de la terreur comme le fut la guerre froide. Maintenant l'Amérique, qui a fabriqué Ben Laden de toutes pièces, se décide enfin à le « liquider ». Nous avons l'impression d'être dans une fiction à la Martin Scorcese. Elle a compris que Ben Laden ne se justifie plus car le monde arabe est en train d'abattre ses dictatures, l'une après l'autre. De surcroît, on voit bien – à l'instar de la Tunisie - que religion et démocratie ne sont pas antithétiques. Et alors si Washington a fait de Ben Laden un mythe, il serait maladroit de sa part d'en libérer aujourd'hui le fantôme. Parce que cela ne servirait qu'à alimenter encore des relents islamophobes qui n'ont plus de raison d'être…