L'insécurité sévit un peu partout. C'est un fait. On s'évade des prisons ressemblant pourtant à un univers concentrationnaire ; on braque en plein jour ; on manifeste pour tout et pour rien ; et les stades retrouvent leur vocation d'arène où se libèrent la violence et les passions, même et surtout du temps du régime déchu. Face à cette spirale de la violence et d'ailleurs une violence d'autant plus paradoxale que, malgré ses martyrs immortels, la Révolution n'a pas sombré dans un bain de sang, ni dans la guerre civile. C'est une Révolution pacifiste mais qui grondait tellement fort qu'un régime ultra-policier de 23 ans tombait comme un tigre en papier. Que s'est-il passé alors pour que la société tunisienne adopte une sorte de loi du talion et sécrète ces poisons de l'outrance, à savoir la montée de l'intolérance, la criminalité, la vindicte, la vengeance même, le clanisme et le régionalisme. Là il faudra y aller avec des pincettes. Il existe bien une piovra invisible, irréductible et qui cherche, à tous les niveaux – et même au sein de la nouvelle intelligentsia et les tribuns récupérateurs parmi la nouvelle bien-pensance – à semer le chaos dans un pays destabilisé parce qu'il n'arrive pas à identifier ses nouveaux repères. Il existe aussi une majorité (trop) silencieuse et que l'on confond, à tort, avec la société civile. Mais ce n'est pas la Révolution qui a enfanté cette violence. Elle a toujours existé, quadrillée par la police de Ben Ali, dans les quartiers populaires et les zones déshéritées qu'un certain 26-26 promettait de transformer en paradis terrestres. La logique était : laisser violenter, laisser pourrir puis sévir après pourrissement en jetant « les délinquants » dans les prisons d'où ils sortiront plus violents encore. Aujourd'hui, la police ne sait plus à quel type de violence faire face mais ce qui s'est produit vendredi véhiculait un message clair : Si vous voulez de l'ordre, laissez nous faire comme on a toujours su le faire ! C'est aussi un aveu d'impuissance à se débarrasser des réflexes conditionnés et à adopter une attitude dissuasive qui serait aussi la politique du bâton et de la carotte. Or tant que la police – dont la seule présence est sécurisante pour les citoyens – n'oubliera pas Farhat Rajhi, et qu'elle n'en finira pas avec les relents vindicatifs manifestés vendredi, la délinquance et la violence ne reculeront pas. Car si à la violence elle répond par la violence, quelle différence y aura-t-il entre les uns et les autres ?