L'UGTT a organisé hier une rencontre syndicale internationale autour du rôle que doivent jouer les syndicats dans la transition démocratique. Les principaux invités étrangers de la manifestation étaient, en plus de l'ambassadeur d'Espagne en Tunisie, des représentants de quelques grands syndicats et organisations espagnols. Dans leurs différentes interventions, les hôtes de l'UGTT mirent l'accent sur les similitudes entre la Révolution qui a renversé Franco et celle qui a déchu Ben Ali. Ils soulignèrent en même temps, les particularités de chacun des deux mouvements révolutionnaires historiques. Au sujet de l'apport syndical dans la transition démocratique, l'ambassadeur espagnol insista sur la nécessité de préserver la force des organisations syndicales et sur le sens du sacrifice qui, en ces circonstances difficiles que vit la Tunisie, doit prévaloir entre les travailleurs et leurs représentants. Gema Martin Munoz, directrice de Casa Arabe, institution espagnole de diplomatie publique avec les pays arabes, estime qu'une lourde responsabilité pèse sur les épaules des Syndicalistes tunisiens : celle de donner une autre image de leur pays et du monde arabe auprès des Occidentaux dont la majorité soutenait et soutient peut-être encore que les Arabes ne sont pas dignes de la démocratie. Candido Mendez, secrétaire général de l'UGT, a quant à lui souhaité de voir le processus démocratique s'enclencher dans tous les pays du Maghreb et a réitéré l'engagement des Espagnols à appuyer ce processus qui rapprochera davantage les peuples des deux rives de la Méditerranée. Pour sa part, Ignacio Fernandez Toxo, secrétaire général de la C.C.O.O., a dépeint le présent de l'action syndicale en Espagne pour en tirer quelques leçons précieuses dont les Tunisiens pourront s'inspirer : il s'agit selon lui d'apprendre à coexister avec ce processus irréversible qu'est la mondialisation, l'économie globalisée. Il faudrait aussi préserver et renforcer les réseaux de protection sociale qui permettent aux catégories sociales les plus fragiles de résister aux grandes crises locales ou internationales. Le dialogue doit par ailleurs prévaloir constamment avec le gouvernement et entre les partenaires sociaux. Les syndicats doivent s'impliquer régulièrement et efficacement dans certains choix de l'Etat, comme par exemple dans sa politique fiscale, son système de protection sociale ou dans sa répartition des richesses. Menez Toxo a enfin souligné la nécessité pour les organisations syndicales de rester autonomes et indépendantes notamment par rapport au pouvoir en place. Les interventions (il devait y en avoir une douzaine) réparties entre trois séances ont été consacrées respectivement aux thèmes suivants : « le rôle des syndicats dans la transition démocratique. L'expérience espagnole » ; « réalités et perspectives tunisiennes », « l'apport des partis politiques dans la transition démocratique en Espagne ».
2 questions à Mustapha Ben Ahmed, coordinateur des programmes de coopération avec les syndicats espagnols (département international de l'UGTT): «L'UGTT doit toujours constituer un contre-pouvoir»
Le Temps : Pourquoi les syndicats espagnols précisément et pas d'autres ?
Mustapha Ben Ahmed : «Tout d'abord, les syndicats espagnols ont une longue expérience dans la lutte contre la dictature et ils ont réussi une transition démocratique tranquille. D'autre part, les nombreuses années au cours desquelles nous avons travaillé avec ces voisins méditerranéens dans le cadre de projets de coopération communs, nous ont permis de découvrir chez eux des qualités fondamentales : ils ne se servent pas de cette coopération pour des intérêts unilatéraux ou bien à des fins d'ingérence dans nos affaires intérieures. Les syndicalistes espagnols traitent avec nous d'égal à égal et œuvrent pour notre intérêt et le leur tout ensemble. Ils ont aussi cette autre qualité primordiale que j'appellerai « le sens méditerranéen très développé ». Ils sont persuadés, en effet, qu'une Méditerranée où règnent la démocratie et la prospérité garantit la paix et l'entraide véritable entre les peuples des deux rives. »
Pour vous, quel rôle l'UGTT est-elle appelée à jouer dans la transition démocratique en Tunisie ?
Tout d'abord, il ne faudrait pas qu'elle agisse en mouvement ou en parti politique. C'est vrai que dans un contexte récent, elle a assumé un rôle de ce genre. L'UGTT se devait en effet de refléter le soulèvement populaire et la révolte des travailleurs. Cependant, tout en renonçant à faire de la politique partisane, elle doit toujours constituer un contre-pouvoir. Il lui incombe dans ce sens de s'allier aux organisations et associations de la société civile et contribuer de par son poids et sa légitimité historique, à les promouvoir et à les renforcer. Notre organisation est appelée aussi à réfléchir à des alternatives plus efficaces quant à l'instauration d'une vraie justice sociale et à la défense des libertés syndicales et des droits de l'Homme. Autre devoir : celui de contribuer à développer chez ses adhérents la conscience citoyenne. Il lui faut également former, éduquer les travailleurs, leur fournir les bons moyens et les capacités d'analyse susceptibles de les aider à choisir leurs élus en toute liberté. Je ne perds pas de vue, non plus, l'obligation pour l'UGTT de participer efficacement au processus de développement du pays et à sa relance économique et ce, dans le cadre d'un activisme mûr et responsable. Compte-rendu de Badreddine BEN HENDA