La Tunisie pourra se flatter d'avoir atteint la majorité politique le jour où ses autorités cesseront totalement de penser à instaurer le couvre-feu pour pallier les problèmes sécuritaires, car il s'agit, en définitive, d'une punition collective inopportune, comme l'a montré l'histoire de la Tunisie durant les 55 dernières années d'indépendance. C'est en ces termes que des citoyens et des commerçants de la ville du Kram, dans la banlieue nord de Tunis, ont commenté la situation actuelle, face aux dégâts occasionnés à de nombreux établissements commerciaux de cette ville, dans la nuit de samedi 7 mai à dimanche 8 mai, durant la période du couvre-feu, suite à des actes de destruction et de pillage perpétrés délibérément par des bandes de jeunes casseurs de la commune. Face aux troubles qu'a connus la région du Grand Tunis, le vendredi 6 mai, le gouvernement provisoire issu de la Révolution du 14 janvier, a cru bon de recourir à cette vieille recette sécuritaire, en instaurant, de nouveau, dans la région du Grand Tunis, le couvre feu de 21 heures à 5 heures du matin, à partir de samedi 7 mai. «Le couvre feu a facilité la tâche aux fauteurs de trouble, car, il n'y a que les gens disciplinés qui le respectent », nous ont dit des citoyens et des commerçants, rassemblés, dimanche matin 8 mai, à l'avenue Habib Bourguiba au Kram, dans la zone de la gare du TGM, qui avait été le théâtre principal des actes de pillage commis dans la nuit de samedi, lors du couvre-feu. Selon des riverains, des bandes de jeunes casseurs hystériques ont investi cette portion de l'avenue Habib Bourguiba, tard dans la nuit de samedi 7 mai, pendant le couvre-feu, s'attaquant à plusieurs établissements commerciaux qu'ils ont pillés dont une pharmacie, une grande quincaillerie appartenant à une enseigne tunisienne connue, et la boutique d'un marchand de fruits secs. La quincaillerie, dont la fondation remonte à 1964, est un véritable symbole de la ville. Beaucoup de casseurs avaient le torse nu et étaient ivres tandis que d'autres avaient l'air dogué, nous a dit un riverain. Une famille connue, habitant l'avenue Habib Bourguiba, la famille Bel Haj, a failli payer cher son courage. Les jeunes casseurs ont voulu défoncer les portes d'un établissement commercial situé au rez-de-chaussée de l'habitation qu'elle occupait. Une des locataires est sortie au balcon et leur a demandé de partir et d'arrêter leur ménage, ce qui suscita la colère des jeunes casseurs qui ont décidé de s'attaquer à la famille. Ils ont essayé de défoncer la porte donnant accès aux étages, mais heureusement, la porte n'a pas cédé. Les jeunes casseurs ont alors soumis la famille à un harcèlement systématique, durant près d'une heure et demie, lançant des pierres et des projectiles de toutes sortes sur la maison, et occasionnant divers dégâts aux vitres des portes et fenêtres, et endommageant un écran plasma. Un des fils a été même blessé. Certains membres de la famille sont des magistrats et l'occupante signalée qui a interpellé les casseurs croit qu'ils étaient délibérément visés pour cette raison. La famille a demandé des secours par téléphone, mais d'après l'occupante, il n'y avait pas eu d'intervention, sauf des coups de feu tirés en l'air par une patrouille de l'armée gardant le siège proche de la délégation du Kram. Résumant un sentiment général, un citoyen est allé jusqu'à blâmer la mesure du couvre-feu en tant que telle, par principe, disant qu'elle reflète un esprit répressif et un vieux réflexe de régimes autoritaires, à l'image de l'état d'urgence et autres mesures d'exception, devenues aujourd'hui incompatibles avec le nouvel esprit révolutionnaire à vocation démocratique. «Nous n'avons pas vu des pays européens recourir à de telles mesures d'exception, face à des dégradations sécuritaires de quelque nature que ce soit, a-t-il noté, signalant le cas de la France où, il y a deux ans, la région parisienne, à elle seule, déplorait chaque nuit, durant près de trois mois, l'incendie de centaines de voitures par des jeunes casseurs en colère. »