Habituellement à pareille époque, l'île est envahie de bus remplis à ras bord d'écoliers, d'étudiants, de fonctionnaires en excursions organisées, venant de tous les coins du pays. Certains en profitaient même pour pousser jusqu'à Ben Gardane, pour d'éventuelles petites affaires et autres cadeaux. L'avenue principale d'Houmt-Souk, ainsi que les rues adjacentes, étaient difficilement praticables : les chauffeurs se permettaient de stationner en double file, dans des passages étroits, et parfois même devant les mosquées, moteurs en marche pour « maintenir la clim » !! Rien de tout cela maintenant. Beaucoup de voitures libyennes, des résidents installés depuis l'insurrection anti-Ghadafi, des clients pour les cliniques et des affairistes. Peu, très peu de touristes. Les jours de marché hebdomadaire étaient des aubaines : des fripiers aux marchands ambulants d'épices, des vendeurs de chaussures « de marque » à ceux des tee-shirt « signés », des étalages de la quincaillerie chinoise aux amoncellements de robes, de jupes, de chemisiers, tous faisaient de bonnes affaires. Rien de tout cela aujourd'hui. Les magasins dits « d'artisanat », les dépôts de tapis, sont pratiquement vides de tout client. Pire, certains ont même mis « en congé technique » leurs vendeurs habituels pour s'arranger uniquement avec des rabatteurs connus. Les autres jouent aux dominos ou au jacquet à longueur de journée. Les restaurants ne sont pas mieux lotis. A part les marchands de casse-croûtes traditionnels réputés et les petits bouis-bouis populaires, qui ont une clientèle fixe, celle des commerçants du souk, les fonctionnaires des administrations environnantes, les restaurants dits à la carte, avec nappes et beaucoup de tralala, restent quand même ouverts pour le cas où…Partout, en ville, se sont installés des courtiers en immobiliers, de très jeunes oisifs circulant en vélomoteur à longueur de journée, et happant au passage tout véhicule immatriculé en Libye pour lui proposer « un houch». Du côté des bijoutiers, qui soufflent toujours le chaud et le froid, on ne sait vraiment pas si les opérations commandes, ventes, prennent un certain rythme, d'autant plus que les mariages sont programmés plus tôt que prévu. Une chose est sûre, des affaires juteuses se font avec les réfugiés, soit par des achats discrets de bijoux en or, soit par des « dépôts » avec des intérêts plutôt conséquents. On observe depuis quelques jours des razzias faites sur le sucre en poudre ( il semblerait que le sac de 50 kgs coûte 75 dinars à Ben Gardane), les cartons de concentré de tomate et d'harissa, les pâtes, le riz, le couscous, les œufs, les packs de lait et d'eau minérale. Des pick-up pleins, les amortisseurs au ras du bitume, font la navette vers la frontière libyenne, officiellement pour « approvisionner » les insurgés, mais en réalité c'est un stockage de denrées pour des spéculations, avec le Ramadan qui approche et le manque total de ces produits de l'autre côté de la frontière. Ce sont donc les grossistes, les supermarchés et quelques épiciers d'importance qui profitent de ce rush suspect. Tout cela n'est pas sans provoquer quelques grognes ici. De la même façon, on assiste à des achats déraisonnables de légumes, tels que les tomates fraîches, les pommes de terre, les oignons, des cageots entiers. Le poivron a flirté avec les 2d500 le kg et le potiron, légume de base dans la préparation du ragoût « yéhni » repas obligatoire lors des mariages djerbiens, a battu quelques records il y a un petit moment : 2d le kg !!! Le poisson réapparaît. Il reste loin de la portée d'une bourse moyenne : marbré, rascasse, sardine, roussette, mulet sauteur, quelques minuscules serres, de la saupe. Des crevettes à des prix astronomiques. Beaucoup s'attendent à une saison difficile. Le peu d'enthousiasme de nos émigrés, craignant pour beaucoup les dérives sécuritaires, l'approche du Ramadan, la baisse importante des réservations et des locations de meublés des touristes de l'intérieur, l'annulation de certains vols, le peu de visibilité concernant l'amélioration du flux touristique, amplifient cette impression d'attente infinie, et installe, dans beaucoup d'esprits, cette morosité comme une fatalité.