Certains aspects des chambardements créés par les révolutions n'apparaissent pas immédiatement. Mais ces mutations peuvent parfois prendre un caractère comique, risible voire ridicule. Nous avons visité quelques bureaux et autres services de documentation de certaines administrations et ce que nous avons constaté a de quoi étonner les personnes les plus imperturbables… Plongée dans les coulisses de nos administrations et dans les coins poussiéreux de leurs archives. Souvenez-vous : lorsque l'on se rendait dans les bureaux de certains responsables sous l'ancien régime, on remarquait souvent qu'un portrait trônait au centre de la pièce, sur la table ou sur le mur, représentant le dit responsable serrant la main du président déchu. Ces photos faisaient la fierté de ces hauts responsables et une caution face à leurs détracteurs… Depuis le 14 janvier 2011, ces photos ont toutes disparu, elles ont été retirées, cachées comme la honte au fond des tiroirs, d'où elles ne sortiront jamais plus. Un PDG qui s'est longtemps flatté d'être dans les « petits papiers » du régime déchu se confie : « oui, j'ai utilisé cette photo où l'ancien président me serrait la main pour combattre mes ennemis. Mais il faut savoir que c'était la seule façon d'échapper aux pressions qui venaient de toutes parts et de faire face à ceux qui voulaient s'immiscer dans la gestion de l'administration. » Une forme de justification que l'on retrouvera très souvent lorsque nous évoquons ce sujet avec ces responsables qui ont été chassés par la révolution. C'est le cas d'un ancien producteur d'une importante émission à la télé tunisienne qui a été prompt à réagir et à cacher sa photo avec Ben Ali, obtenue au bout de plusieurs années de servitude télévisuelle, de lèche médiatique et de soumission aveugle. Ses arguments sont inattendus : «j'étais pris à la gorge par les dettes car je construisais ma maison et mes enfants étaient inscrits dans une fac privée qui coûte cher. Alors j'ai dû avaler toutes les couleuvres et les faire avaler au public pour me maintenir à flots… Je regrette bien sûr de n'avoir pas été plus combatif, mais de toute façon on m'aurait viré et mis quelqu'un de plus malléable à ma place. » Ce que nous avons appris au cours de cette enquête, c'est que les portraits officiels de l'ancien président étaient classés selon l'hiérarchie administrative. C'est ainsi qu'un simple chef de service n'avait droit qu'à un portrait officiel du président de soixante centimètres de hauteur. Celui qui était disposé dans le bureau d'un directeur était un peu plus grand et celui accroché dans le bureau du PDG était immense : jusqu'à deux mètres de hauteur ! Bien sûr, aujourd'hui, tous ces portraits officiels qui faisaient la fierté de ces hauts responsables ont disparu des bureaux, détruits, cachés dans des caves ou placés dans les services de documentation. Ces services ont d'ailleurs vécu des situations cocasses, voire teintées de ridicule. Une documentaliste témoigne : « au lendemain de la révolution, tous les responsables, à tous les niveaux, nous ont inondé de livres qui vantaient les bienfaits de Ben Ali, qui renfermaient ses discours, qui présentaient en termes élogieux les réalisations du régime. C'est à croire qu'ils tentaient d'éloigner de leur vue des documents accusateurs de leur silence et de leur soumission… » Le plus étonnant, ou le plus triste, c'est que ces hauts responsables tentent aujourd'hui de se refaire une virginité en affirmant qu'ils étaient opposés à l'ancien régime et à ses malversations, mais qu'ils ne pouvaient pas parler. Or, on le sait grâce aux enseignements de l'Histoire, lorsque les élites trahissent le peuple, celui-ci finit toujours par se révolter, par se venger… Yasser MAAROUF mohamed [email protected] Habib [email protected]