Mesdames et Messieurs, honorables membres de la Haute Instance Indépendante pour l'élection de l'Assemblée Constituante, Ne voulant pas personnifier votre honorable institution, je ne m'adresserai donc pas particulièrement à votre président mais à l'ensemble des membres composant la haute instance indépendante pour les élections de l'assemblée constituante du 23 octobre 2011. Votre Instance Indépendante (HIIE) souhaiterait —d'après un recoupement concordant d'informations qui nous sont parvenues— confier presqu'exclusivement la mission de préparation et de contrôle desdites élections (à l'étranger) aux ambassades et consulats tunisiens. Ce choix, s'il arrivait à se confirmer, serait non seulement contraire aux décrets-lois numéro 35 du 10 mai 2011 (portant organisation des élections de l'assemblée constituante) et du 18 avril 2011 (portant création de la haute instance indépendante de l'élection de l'assemblée constituante), mais aussi en totale contradiction avec les objectifs de la révolution du 14 janvier pour la dignité, la liberté et la justice ; objectifs pour la réalisation desquels votre instance a été créée. En un mot, ce choix serait autant illégal qu'antidémocratique. Permettez-moi de vous rappeler au préalable, Mesdames et Messieurs, qu'il est dit dans le préambule du premier des deux décrets-lois ci-dessus cités : « ...rompant avec l'ancien régime fondé sur le despotisme et l'annihilation de la volonté populaire, en se maintenant de manière illégitime au pouvoir et en falsifiant les élections... Fidèles aux principes de la révolution du peuple tunisien visant à instaurer une légitimité fondée sur la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice sociale, la dignité et le pluralisme... » De même qu'il est expressément dit dans l'article 4 du décret-loi qui a instauré la HIIE « La haute instance indépendante pour les élections prépare, supervise et contrôle toutes les opérations électorales... » Enfin, aux termes de l'article 12 alinéa 2 du décret-loi numéro 35 (du 10 mai 2011) « L'instance régionale des élections, rattachée au centre diplomatique, tranche les litiges relatifs aux listes électorales qui relèvent de sa compétence territoriale... » Ce n'est donc pas « le centre diplomatique » qui est l'organe de contrôle et de résolution des litiges électoraux, mais bien une instance indépendante devant être créée spécialement à cet effet et qui doit remplir les conditions légales d'indépendance, d'honnêteté, d'impartialité, etc. Nul n'ignore —et votre président, issu de l'immigration, est idéalement placé pour le connaître, lui qui a été une victime « prioritaire » de l'arbitraire « consulaire » pour avoir été une figure de proue de l'opposition à la dictature— le rôle « catastrophique » joué par les ambassades et autres missions diplomatiques tunisiennes dans la reproduction de l'ordre dictatorial, notamment à travers la délation, le népotisme, le clientélisme, le harcèlement des opposants tunisiens à l'étranger (les confiscations arbitraires et non-renouvellement des passeports...), et surtout la fraude et la falsification massive des élections ; est-ce cela "la compétence" et "le savoir-faire" que vous recherchez ? Comment pourrait-on confier l'organisation du processus électoral à des diplomates qui ont, en grande majorité, toujours été les instruments serviles d'un ordre éminemment antidémocratique ? La « rupture avec l'ancien régime » à laquelle se réfère la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, pour la réforme politique et la transition démocratique, n'a-t-elle guère plus de sens dès qu'il est question des tunisiens établis à l'étranger ? Est-il concevable de prétendre garantir l'impartialité, la transparence et le caractère démocratique et pluraliste d'aussi importantes élections en s'en remettant à ces « machines productrices de l'unanimisme » ? Serait-il à ce point difficile de créer une « instance régionale indépendante » conforme aux décrets-lois en vigueur et aux principes démocratiques ? Est-ce que plus de 10 millions de tunisiens vivants à l'étranger ne mériteraient-t-ils pas, comme le reste des tunisiens, de bénéficier d'élections démocratiques, transparentes et impartiales ? Nous sommes à vrai dire abasourdis par ce traitement ô combien discriminatoire, qui refuserait dédaigneusement de faire confiance à la société civile (qui a combattu la dictature sa vie durant) et qui l'accorderait bien trop généreusement à ceux qui sont pourtant irrémédiablement discrédités... en particulier lorsqu'il s'agit d'élections, et quelles élections : ceux d'une assemblée constituante qui va fixer dans la durée les règles du pouvoir et les principes du « vivre ensemble » avec et pour les autres dans des institutions justes... Le flou doit être levé le plus rapidement possible en raison des très courts délais du processus électoral tels qu'annoncés officiellement : le 11 juillet (c'est-à-dire demain !) débutent les inscriptions, etc. Mesdames et Messieurs, honorables membres de la Haute Instance Indépendante pour l'élection de l'Assemblée Constituante, Je vous demande solennellement, en mon nom personnel et au nom de toutes celles et tous ceux (démocrates) qui ont lutté farouchement contre la dictature et soutenu inconditionnellement la révolution tunisienne, de bien vouloir respecter scrupuleusement les garanties légales, institutionnelles et démocratiques régissant les « instances régionales » en charge du processus électoral. La « discrimination négative » qui est en passe d'être infligée à nos concitoyens de l'immigration pourrait entamer gravement la crédibilité de votre instance, et ne serait sans doute pas sans incidence (il va sans dire fortement négative) sur l'ensemble du processus électoral. Nous ne voudrions pas user, le cas échéant, des voies de recours judiciaires contre un pareil choix illégal et illégitime, et comptons sur votre sens de la responsabilité, en particulier eu égard à la réalisation d'un des objectifs principaux de la révolution, à savoir la rupture avec l'ancien régime, pour remédier le plus rapidement possible à cette situation. Veuillez agréer, Honorables Dames et Messieurs, l'expression de ma haute considération. Houcine BARDI Docteur en Droit, Avocat à la Cour de Paris Porte-parole du Parti du Travail Tunisien (PTT) - France