En pareille période de l'année, la saison des festivals bat son plein, et le pays entier, du nord au sud, du littoral à l'intérieur des terres, avec ses villes et ses villages, est en ébullition, chantant et dansant pour fêter la plus belle des saisons. Mais, cette année, les données sont faussées et les choses sont autrement faites. le Tunisien, d'habitude fêtard, noctambule et bon viveur en pareilles circonstances, est plutôt réticent, sceptique, et peu enclin au divertissement, ayant l'esprit porté sur d'autres priorités, autres que la culture que l'air salutaire du changement post révolutionnaire que nous inhalons à pleins poumons n'a guère favorisée. Dans ce contexte de morosité généralisée, de malaise social et d'incertitude injustifiés, le Centre International d'Art et de Culture Dar Chérif à Sidi Jmour Djerba vient de créer l'événement en accueillant du 07 au 11 juillet une série de concerts organisés conjointement, dans le cadre du projet artistique Melos, par le Festival Ville des Musiques du Monde ( Aubervilliers,France), le Festival Au Fil des Voix ( Paris, France), le Festival de Stimmen (Allemagne), le Musical Tradition of the Mediterranean (Thessalonique, Grèce), et Dar Chérif (Sidi Jmour, Djerba). Onze artistes, rassemblés en résidence artistique à Dar Chérif, ont présenté séparément trois programmes musicaux : jeudi 07 juillet, l'ensemble grec En Chordais, réunissant trois musiciens, au oud, au violon, au bouzouki, et un chanteur, a ravi l'assistance en réussissant une formidable palette musicale confrontant les diverses traditions musicales vivantes, les répertoires savants et populaires de l'est méditerranéen. Vendredi 08, le public était au rendez-vous avec la deuxième œuvre de« source » Tunisie présentée par Dorsaf Hamdani au niveau du chant, accompagnée par Mohamed Lassoued au violon, Mohamed Rochdi Mfarraedj (Maroc) au kanun, et Selim Gouja au piano. Le concert présenté était tout simplement un pur régal et eut un succès retentissant, aisément perceptible de par les réactions instantanées du public venu découvrir et écouter de si près la chanteuse qui l'a puissamment ému en retour. Elle avait tout pour plaire ce soir-là, comme à son accoutumée : une voix suave et exquise, une technique de chant irréprochable, une maîtrise des répertoires et des registres d'où elle puisait les chants qu'elle interprétait, le traditionnel tunisien et le classique arabe oriental. Enfin, samedi 09 juillet, c'était au tour de Juan Carmona, guitariste d'exception faisant indéniablement partie des guitaristes les plus créatifs de la nouvelle génération flamenca, de El Kiki ( El Kikimelos) chanteur gitan faisant parti des jeunes prodiges de la nouvelle génération, et de Sergio Martinez aux percussions, de présenter leur programme musical de « source » Espagne. La voix chaleureuse, précieuse et voilée du chanteur, ajoutée aux prouesses quasi magiques du guitariste étaient suffisantes pour faire découvrir au public le vaste territoire du flamenco et pour le lui faire aimer ; ayant le flamenco dans le sang, ce trio d'exception a tout simplement excellé. L'apothéose Le public, venu nombreux pour ce quatrième et dernier concert de ce marathon musical de qualité, piaffait d'impatience de voir les dix artistes avec le directeur artistique de la création Melos, Keyvan Chemirani , réunis sur scène pour présenter le répertoire commun , fruit de la résidence artistique à Dar Chérif ayant permis à ces musiciens et chanteurs issus de trois traditions musicales de se confronter cinq jours durant, de s'écouter les uns les autres, de rechercher dans leur répertoire des œuvres pouvant entrer en résonance, d'improviser et de réarranger. Prévu à 21 heures, le spectacle débuta 30 minutes après ; un retard somme toute toléré et nullement contesté, tant le public en présence avait de quoi se plaire, par la vue apaisante et si agréable du paysage pittoresque nocturne illuminé par l'éclat rayonnant d'une lune à quelques jours de sa plénitude, plongé dans ce silence légendaire propre à la côte ouest de l'île. A 21h30, les artistes, musiciens et chanteurs, font leur apparition sous les applaudissements des spectateurs. La voie est enfin libre pour les artistes pour dominer l'espace du patio éclatant de blancheur, et faire étalage, dans un show époustouflant, de tout leur savoir-faire et leur professionnalisme. Les morceaux exécutés puisés dans les traditions musicales des trois pays, formant le répertoire commun partagé par les artistes, sont interprétés excellemment dans une alternance fluide des rythmes, des registres et des voix. La rencontre des répertoires était sans heurts et sans dégâts ; l'entente entre les artistes était irréprochable, et la communion était totale. Le public envoûté est conquis, se laissant balancer au gré des rythmes et des registres, d'une mer à une autre, des rivages d'une Grèce lointaine, à ceux d'une Espagne andalouse, en accostant le temps d'une mélodie berceuse en terre tunisienne. A 23h00, le rideau tombe ; les artistes, visiblement émus, quittent leurs chaises pour saluer de plus belle les spectateurs qui leur rendent la monnaie par un tonnerre d'applaudissements, avant de regagner en procession leur loge. Mais, quelques instants après, ils réapparaissent, se rassoient, prenant au dépourvu tout le monde, pour interpréter un des plus beaux morceaux de la soirée, pour le bonheur certain du public ensorcelé et envoûté par le charme irrésistible des voix, les prouesses instrumentales et la qualité intrinsèque des chants exécutés. La satisfaction était générale et elle se lisait sur tous les visages. Cette composition artistique commune, fruit d'une rencontre d'artistes de traditions musicales différentes dans un espace de partage qu'est Dar Chérif, a tenu toutes ses promesses. Le projet Melos est désormais sur les rails ; le répertoire méditerranéen commun créé, interprété en première à Djerba, à Dar Chérif, se reproduira en Allemagne, au festival de Stimmen et puis, le 29 octobre à Paris dans le cadre du festival « Ville des Musiques du Monde », et probablement le 24 novembre au Théâtre municipal de Tunis.