Suite à la consultation nationale sur l'enseignement professionnel en Tunisie, Le ministère de l'Education et de la Formation compte créer à partir de l'année scolaire 2007-2008 des écoles préparatoires techniques destinées aux élèves de la 7è année de l'enseignement de base pour y poursuivre leurs études d'enseignement technique et professionnel qui durent deux ans (8è et 9è année) durant lesquels l'élève recevra une formation générale et technique, après quoi, il est orienté vers d'autres réseaux de formation plus approfondie avec la possibilité de réintégrer l'enseignement général au lycée. Voilà encore une réforme de l'enseignement qui arrive à pic. Mais s'agit-il d'un simple remplacement de l'actuelle école des métiers ou d'une nouvelle version de l'ancien collège professionnel des années 70 et 80 ? Espérons que non ! Cette fois-ci, l'approche se fait apparemment sur des bases plus solides et avec de nouvelles perspectives, en vue de redonner à l'enseignement technique et professionnel, dont on se faisait une mauvaise image au passé, sa véritable valeur et une certaine parité d'estime avec l'enseignement général. Le ministère de tutelle, dans une note adressée à tous les directeurs des collèges, les a exhortés à mettre en œuvre cette mesure et ce, au cours des conseils des classes qui se déroulent en cette fin d'année scolaire dans les collèges. Ce qui revient à dire que l'élève concerné sera orienté vers ces nouvelles écoles par le conseil des classes qui prendra en considération plusieurs critères dont essentiellement ses résultats scolaires, sa vocation technique et professionnelle, sans oublier l'accord parental. Voilà qui est nouveau !
Eviter les erreurs du passé Autrefois, l'orientation vers le collège professionnel s'effectuait davantage sur l'échec que sur un véritable choix positif et motivé de l'élève, de telle sorte que cette orientation ressemblait à une sanction : les cancres ayant redoublé deux ou trois fois au concours de sixième primaire étaient envoyés systématiquement aux collèges professionnels comme on envoie des condamnés au bagne, et seuls ceux qui réussissaient en sixième méritaient le cycle long au lycée. D'où ce sentiment d'être inférieurs, d'être écartés, ressenti par les élèves du professionnel, n'étant pas jugés capables de poursuivre dans le secondaire long. Il s'en suivait que beaucoup d'entre eux n'avaient pas de goût pour les études professionnelles, ce qui se répercutait non seulement sur leur résultat mais encore sur leur conduite. L'on se souvient encore et non sans amertume de l'expérience vécue durant ces années dans les collèges professionnels où les élèves arrivaient du primaire avec un niveau très faible et des retards très importants sur tous les plans (scientifique, littéraire, culturel...), la plupart accusant des difficultés énormes en lecture, écriture et calcul. D'où les continuelles doléances des professeurs d'enseignement général comme ceux d'enseignement technique qui exerçaient alors dans ces collèges professionnels, ces enseignants qui se considéraient, et à juste titre, comme des récupérateurs de cas désespérés, affichant ainsi un pessimisme sans appel quant à l'avenir de ces élèves « ratés ». En effet, rares étaient les diplômés de ces collèges qui parvenaient à intégrer le marché d'emploi pour la simple raison que certaines spécialités n'étaient pas bien appréciées, comme le bâtiment, la menuiserie et la construction mécanique pour les garçons, la couture pour les filles. C'est que les élèves orientés vers le professionnel n'avaient pas à choisir leur spécialité : certaines spécialités, comme l'électricité ou la mécanique auto pour les garçons et la coiffure pour les filles, n'étaient accordées qu'au compte-gouttes, faute de moyens et d'infrastructure adéquate. Ainsi la majorité des élèves étaient souvent contraints à apprendre un métier pour lequel ils n'éprouvaient aucun goût particulier. J'ai eu la chance (ou la malchance) d'avoir enseigné durant quatre ans dans l'un de ces collèges professionnels de garçons qu'on appelait communément à l'époque, autant par ironie que par mépris, « collège kantoula », allusion faite à la spécialité de bâtiment qu'on apprenait à la majorité des élèves pour en faire de futurs maçons. Mais après trois ans de formation, certains étaient malheureusement incapables de construire un mur ! D'où une mauvaise réputation auprès des chefs d'entreprises et des employeurs qui refusaient d'embaucher les diplômés issus de ces boîtes. Cette aversion pour l'enseignement professionnel, n'en disconvenons pas, est le résultat d'une mentalité enracinée depuis longtemps chez nous qui sous-estimait le travail manuel : c'était l'époque où tous les parents voulaient faire de leurs enfants des médecins et des avocats. J'ai donc vécu de près avec mes collègues toutes les « malédictions » qui pesaient sur ces collèges professionnels. Nous avions tous le sentiment d'être des gardiens de futurs chômeurs du fait qu'on avait affaire à un public d'élèves, issus de milieux populaires défavorisés, non motivés, faibles, désintéressés et mal disciplinés auxquels on délivrait des diplômes sans importance : sortis du collège, la plupart exerçaient un métier qui n'avait aucun rapport avec leur formation initiale. L'avènement de l'école de base au début des années 90 a, en quelque sorte, mis fin à ce calvaire, permettant à tous les élèves de poursuivre leurs études en tronc commun pendant neuf ans. Toutefois, le besoin d'une révision de cet enseignement de base, vieux déjà de plus de 15 ans, se fait de plus en plus sentir. L'annulation du concours de sixième année primaire et le caractère non obligatoire de l'examen de fin d'études de base, ont fait que les collèges (2è cycle de l'enseignement de base) sont très saturés par la présence d'élèves hétérogènes et souvent de niveau médiocre qui nuisent à la qualité de l'enseignement. Ainsi le retour à l'enseignement professionnel et l'instauration des écoles préparatoires techniques à partir de la rentrée prochaine est peut-être l'une des réformes apportées à l'enseignement de base. L'objectif est donc de revaloriser l'enseignement technique et professionnel en Tunisie, et le remettre sur un pied d'égalité avec l'enseignement général. L'enjeu est de taille quand on sait qu'aujourd'hui la Tunisie a vraiment besoin de gens qui savent travailler à la main (ouvriers et techniciens) et pas seulement de théoriciens ou d'académiciens, d'autant plus qu'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée dans certains métiers se fait de plus en plus sentir.
Les perspectives d'avenir Il faut donc trouver les meilleurs moyens pour mener à bien cette expérience tout en tirant les enseignements du passé. La première chose à faire est de changer la mentalité des gens qui portent encore un jugement négatif sur le travail manuel et sur la formation technique et professionnelle en organisant des journées portes ouvertes destinées aux parents et à leurs enfants pour les sensibiliser à l'importance de ces écoles techniques où une grande majorité d'élèves pourrait trouver une voie de réussite scolaire et professionnelle, une voie d'ouverture, d'enrichissement et d'épanouissement au même titre que l'enseignement général, d'autant plus que ces écoles constituent une filière d'enseignement à part entière où est dispensée une formation à la fois technique et générale. Et ce point est très important dans la mesure où les acquisitions culturelles et linguistiques sont aussi déterminantes que la possession d'un diplôme : à quoi servirait un diplôme si la personne n'est pas formée en vue d'une meilleure adaptation sociale ? Car les difficultés par rapport à l'emploi tiennent souvent du manque d'adaptation. Pour ces futurs diplômés, formation technique et adaptation sociale vont toujours de pair. La deuxième chose consiste à lier l'enseignement technique et professionnel avec le marché du travail. Pour ce faire, il est souhaitable qu'il soit pris en charge conjointement par le ministère de tutelle et les entreprises du commerce et de l'industrie exerçant dans le pays de sorte que planificateurs, formateurs et employeurs mettent la main à la pâte en veillant à ce que la formation dans ces écoles se déroule dans des situations plus ou moins similaires à celles du monde du travail avec l'organisation de visites et de stages au sein des entreprises en périodes des vacances. Dans un monde qui évolue sans cesse, l'enseignement technique et professionnel doit impérativement se mettre au diapason des exigences et des besoins des entreprises en vue de garantir un accès facile aux futurs diplômés en permettant à ces derniers d'acquérir les compétences nécessaires qui ouvrent devant eux des horizons soit pour rejoindre le cursus d'enseignement secondaire qui mène au baccalauréat professionnel et de là vers le supérieur, soit pour intégrer le monde du travail. Enfin, pour motiver les élèves qui seront orientés vers ces nouvelles écoles préparatoires techniques, il faut leur proposer une formation et un contenu modernes basés sur les nouvelles techniques d'information et de communication (NTIC), c'est-à-dire, équiper ces écoles en matériels informatiques et en multimédia afin d'assurer un enseignement moderne et efficace. Les ateliers doivent également être dotés de machines et d'outillages sophistiqués comme ceux qu'on trouve dans les entreprises modernes. Sans ses bases indispensables, les élèves ne parviennent pas à assimiler réellement les contenus du programme. Du moment que les diplômes seront destinés à être reconnus sur le marché de l'emploi, il convient d'en assurer la pertinence et la valeur. Aussi faut-il partir du bon pied pour ne pas retomber dans les erreurs du passé.