Interview de Saoud El Mawla, Professeur de sociologie politique à l'Université libanaise Trois mois nous séparent des élections de la Constituante, la Tunisie trace déjà une phase de son histoire, où les partis politiques s'apprêtent à afficher leurs programmes sociaux et économiques et la société civile commence à bouger. Des coalitions entre les partis politiques de différentes idéologies ont été formées. La société civile est de son côté, en train de se réorganiser. Il s'agit des signes annonciateur de l'Etat civil basé sur le respect de la citoyenneté, de la société civile, du dialogue…Des concepts clés qui ont été élaborés à l'issue des Révolutions dans le monde arabe dont, la Tunisie, selon Saoud El Mawla, Professeur de sociologie politique à l'Université libanaise. Ces concepts interpellent les sociologues. Comment les introduire dans leurs analyses ? Saoud El Mawla explique dans cette interview les bases de l'Etat civil, la citoyenneté, le dialogue avec l'autre, qui restent nécessaires pour couper définitivement avec l'ancien régime et réaliser par conséquent la Révolution. Le Temps : Le monde arabe est en effervescence. Plusieurs pays vivent sous l'effet des Révolutions ou des révoltes. Une nouvelle donne qui aura certes, un impact sur les approches sociologiques dans la région. Saoud El Mawla : Je considère que cinq concepts clés ont été élaborés avec les Révolutions dans le monde arabe. Ils se présentent comme suit : l'Etat civil, le peuple veut, la société civile, la coupure ou le dialogue et le peuple et la citoyenneté. La question qui se pose dans ce contexte, est de savoir comment les introduire dans nos analyses ? On parlait de l'Etat civil pour éviter le conflit entre la laïcité et la religion. Ce terme utilisé auparavant, est inhibé de la philosophie occidentale alors qu'il y a plusieurs modèles à suivre. Le modèle utilisé dans quelques pays arabes était celui inspiré de la France. Mais les jeunes ont vu qu'il n'est pas applicable chez nous. Ils ont en effet, affirmé leur volonté d'être « un peuple », d'être un peuple de citoyens, d'où l'égalité devant la loi. L'instauration de l'Etat civil passe par une démarche et surtout une volonté. -Nous avons besoin d'ouvrir le dialogue entre tous les acteurs. Il importe aussi de trouver une entente stratégique pour bâtir l'Etat civil. La société civile a ainsi un grand rôle à jouer ? -D'où l'importance du concept « société civile ». D'ailleurs, l'une des premières responsabilités des jeunes, c'est de renforcer leurs actions dans le domaine. La politique est une belle chose, il ne faut pas la laisser entre les mains des politiciens. Nous assistons en Tunisie à des coalitions entre plusieurs partis politiques de différents courants. Comment les analysez-vous? -Il ne faut pas tomber dans le piège de l'éradication de certains partis politiques. Il faut en même temps participer dans la vie politique et proposer une alternative, sinon on risquera de tomber dans le fascisme. Si on veut également être démocratique, il importe d'appliquer sa citoyenneté laquelle ne signifie pas seulement avoir des droits. La citoyenneté c'est aussi accomplir ses devoirs, participer à la vie politique active et ne pas laisser le champ libre. Mais quel est le rôle de l'Etat pour préserver la citoyenneté ? -La citoyenneté est aussi l'affaire de l'Etat. Elle doit instaurer l'indépendance et la transparence des pouvoirs et garantir les droits et les libertés d'expression. Il faut en outre, établir les lois qui gouvernent la vie publique sur la base de vote dans le parlement. L'instauration de la citoyenneté nécessite un vrai dialogue national, qui malheureusement n'a pas eu lieu en Tunisie. D'où un danger permanent ? -Le vrai danger c'est d'accepter le dialogue en tant que tactique et non pas en tant que principe de travail. Il doit être un principe fondamental dans la vie politique. Cela suppose d'accepter l'autre, la différence. -Effectivement. Accepter l'autre et le respecter. Il ne faut pas avoir peur de l'autre même si on croit qu'il s'agit d'un danger. Il faut avoir confiance qu'on peut instaurer une vraie démocratie et une vraie citoyenneté. Dans la lutte politique, il est essentiel aussi, d'apprendre à être pacifique et ce, en faisant un consensus contre toutes les formes de la violence (physique, morale…). Toutes les forces politiques doivent imposer leurs programmes contre la violence. De leur côté, les médias doivent jouer un rôle important et ouvrir un vrai débat politique. Les talks shows ne créent pas une opinion politique. La Tunisie a d'ailleurs, des traditions de travail syndicales sur les vraies questions telles que la démocratie, les lois et la participation de la société civile. Après quelques mois de la Révolution en Tunisie et en Egypte, les mouvements de contestation ne se sont pas été arrêtés. D'ailleurs nombreux sont les spécialistes qui considèrent que les pays arabes n'ont pas réalisé la Révolution. -Sociologiquement, il s'agit encore de mouvements sociaux. Cela s'explique par le fait que la Révolution implique un changement total dans le régime politique. D'ailleurs, peu de Révolutions ont pu changer totalement les régimes. Propos recueillis par Sana FARHAT amadyka [email protected]