Un ami m'a dit : «pourquoi vous ne parlez que des marchés de la capitale dans cette rubrique, Tunis n'est pas la Tunisie !» C'est vrai et c'est pourquoi nous avons opté pour des visites dans d'autres régions, à la découverte d'autres marchés plus ou moins exotiques… Nous nous sommes rendus dans une région connue pour ses richesses naturelles, mais dont la population reste bien pauvre : Tabarka, avec ses montagnes, ses forêts et sa mer sauvage… Ici la population est divisée en deux : il y a ceux qui sont aisés, avec de grandes villas de maitre et des voitures de luxe. Ce sont généralement des travailleurs à l'étranger qui ont réussi, des retraités aisés et quelques professions libérales. Et puis il y a les marins qui ne sortent que rarement en mer à cause des vents permanents, les ouvriers qui ne travaillent qu'un jour sur deux, les chômeurs éternels entretenus par leur famille… Tout cela donne une société à deux vitesses avec des effets directs sur le marché et sur le fameux couffin de la ménagère. Un marché bien achalandé, avec des fruits et légumes pour les riches, et d'autres pour les pauvres. Les produits de qualité coûtent deux à trois cent Millimes de plus qu'à la capitale, « à cause du transport », nous précise-t-on. Quant aux produits pour gens modestes, ils sont à moitié prix pour une qualité médiocre. Les clients achètent généralement de petites quantités de fruits, quand ils ne se contentent pas de regarder les prix d'un air scandalisé par tant de cherté... La plupart vont d'ailleurs se rabattre sur les figues de Barbarie, vendues par petits seaux à un Dinar. Bizarrerie locale les prix sont rarement affichés et quand on demande pourquoi, les marchands nous assurent sans se démonter que « les responsables du contrôle des prix nous ont demandé de ne plus afficher les petites plaques où on inscrit les prix pour ne pas choquer les gens ! » Bizarre, mais ça a l'avantage d'être clair : les prix sont trop élevés au point que ça risque de choquer… La plupart des clients de condition modeste, c'est-à-dire la majorité, vont se rabattre sur «Souk El Haouata» (marché aux poissons) qui est l'endroit le plus fréquenté de la ville. On y vend du poisson, bien sûr, mais on y trouve surtout plusieurs rangées de femmes assises à même le trottoir, vendant des légumes plus ou moins fanés, des salades défraichies, quelques citrons emballés par quatre dans de petits sachets en plastique… Ce sont des légumes que ces veuves, divorcées ou mères de famille nombreuse cultivent sur de petits lopins de terre ou dans leur jardin et qu'elles viennent proposer à de plus pauvres qu'elles pour des prix défiant toute concurrence. La salade ne coûte ici que 300 Millimes, le persil 200, les oignons à 300, le sachet de citron 400… Globalement, on gagne 200 à 300 Millimes par article, ce qui est considérable sous ces latitudes. L'absence de touristes européens et algériens a contribué, cette année, à appauvrir cette région déjà très fragile. Alors on emprunte, on vend les quelques biens et on attend des jours meilleurs, sans cesse promis, toujours pas en vue. Côté poissonniers, il y a deux catégories : ceux qui ont une boutique bien achalandée, avec de beaux poissons frais et à côté, dans la rue, à même le trottoir, dans quelques caisses en plastique, étroitement surveillées par des jeunes, on propose des poissons peu connus, aux formes bizarres et à la fraîcheur incertaine, puisque dépourvus de glace, alors que la canicule sévit depuis plusieurs heures. Tabarka mérite mieux que cette situation économique fragile, cette paupérisation rampante. Les gens d'ici sont patients, mais gare à la colère de ceux qui ont faim… Yasser Maârouf amad salem [email protected]