Nombreux projets de constitutions, rédigées par des juristes circulent ces derniers jours. Des associations de la société civile y sont impliquées. La rédaction d'une constitution, est –elle un acte technique, ou une question beaucoup plus importante, intéressant toute la société, avec toutes ses composantes, surtout en période de transition démocratique ? Comment doit-on procéder à son élaboration ? Peut-on s'inspirer des expériences étrangères ? Jusqu'à quelles limites ? Doit-on respecter et s'inspirer de l'histoire du pays et assurer une certaine continuité historique de l'Etat ou repartir de zéro ? Ces questions ont été au centre du débat organisé, hier, à Tunis par le Centre Kawakibi des Transitions Démocratiques avec la collaboration de l'Institut for Democracy and Electoral Assistance (IDEA). Mohsen Marzouk, président du comité exécutif du Centre Kawakibi, a précisé que la Constitution est un instantané qui reflète un consensus et un compromis entre les différentes composantes de la société, sur des principes généraux qui règlent la vie publique et jettent les bases du vivre ensemble. Sa rédaction suppose la résolution des différends par le dialogue, la concertation, la négociation et le sens du compromis. La culture du dialogue est à la base de la rédaction des constitutions. Aymen Ayoub, Directeur régional d'IDEA, rappelle que son institution spécialisée dans la transition démocratique est constituée de 27 pays répartis sur les cinq continents. Elle considère que la démocratie durable ne perdure que si elle naît des sociétés, elles mêmes. Il ajoute : « Nous agissons en réponse aux mouvements révolutionnaires dans les pays arabes dont la première étincelle est partie de la Tunisie. Les élections ne sont qu'une étape dans un long chemin. La rédaction de la Constitution est une étape importante. Elle suppose un consensus. C'est un pacte social élaboré entre parties égales ». Ce n'est pas un pacte entre deux individus, mais entre des forces représentant la société. La règle de la non exclusion est très importante. L'intervention qui a attiré le plus d'attention est celle de Yadh Ben Achour, avocat, spécialiste de Droit public, qui préside la Haute Instance de Réalisation des Objectifs de la Révolution. Pour renforcer la légitimité constitutionnelle, le problème, aujourd'hui, ne réside pas dans la rédaction d'une constitution, mais dans la consolidation de la culture du dialogue et de la négociation. La renforcement de la légitimité après la Révolution, dira Yadh Ben Achour, se résume en trois points : les objectifs, la méthodologie et les principes. Les objectifs de la légitimité sont bien ceux revendiqués par la Révolution. La Constituante viendra prendre la relève sur la Haute Instance de Réalisation des Objectifs de la Révolution. Elle prendra le flambeau tout en se justifiant d'une légitimité totale. Les objectifs de la Révolution se traduisent dans la rupture absolue avec le régime dictatorial et l'engagement total à la réalisation d'objectifs sociaux, mettant fin à la marginalisation et l'injustice sociale. La Constitution est un moyen d'atteindre ces objectifs. Comment ? « Depuis l'indépendance, nous avons vécu une situation où l'Etat prenait le dessus sur la société, au début pour réaliser des réformes, chose qui a évolué négativement vers un régime politique dictatorial et corrompu. Aujourd'hui, c'est la société qui a pris le dessus sur l'Etat », dira en substance Yadh Ben Achour. Maintenant, il faut respecter la volonté du peuple, son identité, les libertés, à travers la mise en place d'un régime politique équilibré. Au niveau de la méthodologie, même un étudiant de première année Droit, peut rédiger une Constitution. Il faut que la Constitution soit conforme à l'étape actuelle. Ce n'est pas un Code détaillé, comme celui du commerce ou autre. C'est un texte de synthèse. « Il ne doit pas dépasser 80 ou 90 articles », dira le conférencier. Il faut se contenter des principes fondamentaux sans entrer dans les détails. Le texte doit être accessible à tous. Tout le monde doit pouvoir le lire et le comprendre. Les institutions constitutionnelles ne doivent pas être nombreuses et dispersées. A –t-on besoin en Tunisie, d'un Parlement constitué de deux chambres ? A –t-on besoin d'un Conseil économique et social ? On peut créer un Conseil d'Etat où on retrouverait, une Cour constitutionnelle, le tribunal administratif et la Cour des Comptes. La prochaine constitution doit être liée à l'histoire du pays. On ne va pas réinventer la roue. La Constitution de 1959 contient beaucoup de valeurs et de choses positives. On ne peut les ignorer. « Il faut que la Tunisie reste dans la continuité tout en rompant avec les excès de la Constitution de 1959 ». Concernant les principes à sauvegarder, Yadh Ben Achour rappellera le Pacte républicain élaboré par la Haute Instance de Réalisation des Objectifs de la Révolution. Ce texte contient des principes qui restent valables, comme le caractère civil de l'Etat. En fin de compte, la séparation entre l'action politique et la religion, est bien consommée. Dernièrement, les 11 partis qui ont signé la Déclaration de la transition, se sont mis d'accord, entre autres, pour la non utilisation des lieux de culte dans la campagne électorale. Un deuxième principe s'impose. Il s'agit d'intégrer les libertés et les droits fondamentaux dans l'article premier de la Constitution. Un troisième principe doit être inclus, celui de la transparence des comptes de l'Etat. Il faut inclure dans la Constitution, la sauvegarde des finances publiques des éventuels dépassements. Qui pourrait connaître le salaire du président, du premier ministre ou même, d'un ministre ? « Il faut inclure un article qui impose la publication des salaires des hommes politiques dans le Journal officiel ». Pour édifier un Etat de Droit et des Institutions, il faut établir les structures nécessaires, comme la Cour constitutionnelle. Pour que la prochaine Constituante ne parte pas de zéro et afin de tirer profit de l'expérience acquise au sein de la Haute Instance de Réalisation des Objectifs de la Révolution, Mohsen Marzouk, propose le maintien du groupe d'experts. Yash Ghai, consultant dans la rédaction des Constitutions, parlera de l'expérience des pays de l'Afrique subsaharienne et insistera sur la nécessité de tenir compte des spécificités de chaque pays, et de n'emprunter de l'expérience mondiale que les principes généraux.