En présence du Professeur Yadh Ben Achour, président de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, et d'une pléiade d'experts internationaux, le centre Al Kawakibi pour la promotion de la démocratie dans les pays arabes (Al Kawakibi Democracy Transition Center), en collaboration avec l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (International Idea), a organisé hier à Tunis un séminaire intitulé : «L'écriture de la Constitution durant une phase de transition démocratique : débat national autour des expériences internationales». Lors de son allocution d'ouverture, M. Mohsen Marzouk, secrétaire général de l'Institution arabe de la démocratie et président de la Commission exécutive d'Al-Kawakibi Democracy Transition Center, a précisé que le choix du thème de ce séminaire s'inscrit dans la stratégie de son organisation, qui est spécialisée en transition démocratique, pour établir un dialogue national autour des différentes expériences des pays qui sont passés par une phase de transition démocratique, surtout dans les pays africains et de l'Amérique du Sud. Il joute : «Certes, durant ces derniers mois, plusieurs représentants de la société civile tunisienne, très actifs, ont proposé des projets de Constitution. Mais, à mon avis, il ne suffit pas uniquement d'écrire une Constitution sur du papier. Car la Constitution n'est pas une idée ou la concrétisation d'une idéologie. Au contraire, une Constitution voit le jour pour aboutir à un compromis historique, surtout quand il s'agit d'une période de transition démocratique où le pays passe par une phase d'instabilité et entame une phase de construction. Ainsi, à travers ce débat, on va se poser la question suivante : comment la culture du dialogue dans ce contexte peut-elle aboutir à une Constitution consensuelle ? Car une Constitution, à l'image d'un cliché de photographie argentée, est un cliché historique. Ainsi, toute Constitution sera le fruit des différences d'idées et des conceptions de ceux qui vont l'écrire mais, vers la fin, elle sera la résultante d'un accord avec des concessions mutuelles». M. Ayman Ayoub, représentant de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (International Idea), a commencé par présenter son organisation : «Idea est une organisation intergouvernementale comprenant 27 Etats membres de tous les continents et dont le siège est à Stockholm, avec des bureaux régionaux en Afrique (Egypte), Asie et Amérique Latine. Notre organisation a pour mission d'aider à la mise en place durable de processus démocratiques en fournissant des connaissances comparées, en soutenant les réformes démocratiques, et en influençant les politiques et la politique. International Idea intervient aussi lors des élections ainsi qu'au sein des partis politiques pour promouvoir l'intégration de la femme au niveau politique, pour bâtir des constitutions et développer des outils d'autoévaluation. Nous travaillons à la fois avec des démocraties nouvelles et des démocraties de longue date, en aidant à développer et renforcer les institutions et la culture démocratiques. On travaille aussi en partenariat avec les organes internationaux, régionaux et nationaux... Ce workshop, ajoute-t-il, fait partie de nos programmes, bien que la Tunisie soit impliquée dans un processus électoral. Pour nous, les élections représentent un événement ponctuel dans un long processus qu'est la transition démocratique. Cela n'empêche pas d'accorder beaucoup d'importance aux élections de l'Assemblée constituante qui va accoucher d'une nouvelle Constitution, qu'on appelait jadis sous d'autres cieux «le Contrat social», liant des personnes égales en droits et en devoirs sans exclusion et avec la participation de Monsieur Tout-le-monde : les citoyens qui forment l'ossature d'une société civile et démocratique. Enfin, nous sommes certains qu'on va beaucoup apprendre de votre expérience», ajoute M. Ayoub. «Pour une Constitution imprégnée de la culture du dialogue et du débat» Quant à M. Yadh Ben Achour, il a indiqué lors de son intervention que l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, dont il est le président, a toujours fait du dialogue l'épine dorsale de ses principes et la pierre angulaire de son credo pour renforcer sa légitimité post-révolutionnaire. Il a déclaré : Toute la problématique se résume dans le fait que, pour écrire une Constitution et renforcer la légitimité, il faut que la rédaction de ce texte soit imprégnée de la culture du dialogue et du débat. Une Constitution doit tout d'abord avoir des objectifs et une méthodologie. Pour ce qui est des objectifs de la Constitution, ils épousent ceux de la révolution, qui se ramifient en deux principales branches : premièrement, une rupture définitive avec le régime dictatorial et ses pratiques. Deuxièmement, une révolution sociale contre la marginalisation et l'injustice sociale. D'autre part, en Tunisie, depuis toujours, l'Etat a toujours pris l'ascendant sur la société. Depuis l'ère bourguibienne, l'Etat est toujours passé au premier plan, ce qui a mené le pays vers un régime autoritaire et dictatorial. La nouvelle Constitution devra respecter la souveraineté du peuple, son identité ainsi que ses droits, puis se pencher sur une nouvelle structure des pouvoirs, avec un nouveau régime politique. Comme l'a signalé M. Mohsen Marzouk, la question d'une nouvelle Constitution ne se résume pas à la rédaction d'un texte sur un bout de papier. Le plus important réside dans la méthodologie qui sera utilisée pour aboutir à une constitution consensuelle. A mon avis, notre constitution ne devra pas dépasser les 80 ou les 90 articles. Malheureusement, nos anciennes copies de constitution proposaient plus d'articles que les constitutions de la Russie ou des USA et elles étaient très compliquées. D'autre part, notre prochaine Constitution doit être simple. Plus la Constitution est simple, plus elle sera accessible au citoyen lambda. La simplification des textes qui meubleront cette nouvelle Constitution sera la clé pour un Etat démocratique. De la transparence et des institutions de supervision M. Ben Achour continue : «Et je partage l'avis de M. Ayoub qui voit que la Constitution d'un pays doit être le contrat social qui unit tous les citoyens. Certes, on est tous d'accord que la nouvelle Constitution doit rompre une fois pour toutes avec le passé. Mais cela ne veut pas dire que la Constitution de 1959 ne recèle pas des points positifs. Il y a aussi l'expérience de la Constitution de 1861 et le Pacte de sécurité (Âahd el Amen). Ainsi, ces expériences peuvent inspirer la prochaine Assemblée constituante tout en écartant les irrégularités. Notre nouvelle Constitution devra mettre en avant le côté civique de l'Etat en séparant la religion de la politique, et non pas la religion de l'Etat. En outre, cette Constitution devra aussi être un rempart contre la corruption qui gangrène tous les secteurs. Dans tous les dossiers que traitaient les commissions de notre Instance, la corruption était présente. Parallèlement, cette nouvelle Constitution devra accorder une grande place à la transparence en lui consacrant tout un chapitre, au lieu d'un article. Il est venu le temps pour que le peuple puisse suivre la traçabilité des dépenses publiques. Il faut que cette constitution via un article, impose aux responsables politiques la publication de leurs revenus et leurs rémunérations dans le Journal officiel de la République tunisienne (Jort). Enfin, il faut que cette Constitution instaure l'Etat de droit et l'édification des instituions de supervision. Ainsi, il est impératif de créer les trois tribunaux suivants : une Cour constitutionnelle (pour vérifier la constitutionnalité des lois), un Tribunal administratif (pour s'assurer de la légalité des décisions administratives) et un Tribunal de finances (pour superviser la bonne gestion financière du service public). Ces trois institutions seront réunies dans une instance supérieure pour être les garde-fous contre toute dérive».