Sisyphe indomptable, tu fus, depuis les hauteurs de ton petit village natal, où commença ton ascension, ta quête de l'absolu, une quête incessante, pénible, harassante pour atteindre « l'inaccessible étoile ». Tu vainquis tant d'obstacles pour te hisser au dessus de la mêlée, briller dans cette magnifique langue que tu manias à la perfection, embellis, sublimas, tissant un style épuré et dense d'une saisissante beauté. Tu nous fis don de chef-d'œuvre que nous n'avons pas fini de découvrir, d'apprécier. Bientôt, tu gravis les marches de la gloire, militant politique, syndical, ministre, président de l'Assemblée Nationale… Jusqu'au bout, tu régnas sur l'Olympe. Tu créas ton héros « Ghaylène » à ton image, un révolté contre le destin, refusant de courber l'échine, d'accepter qu'une communauté de léthargiques subisse la sécheresse, la famine, les épidémies, et poursuivit un rêve, le sien, obsédant, gigantesque : la construction d'un barrage qui sauverait les habitants de tous les maux de la terre. Son rocher fut un rêve colossal, titanesque qui l'habita, le harcela, l'envoûta, tel le chant des sirènes. Un rêve qui changerait la face de la terre, les collines deviendraient verdoyantes, le sol fertile, les arbres ressusciteraient, se couvriraient de feuilles, les sources jailliraient, l'eau coulerait, vivifiante et généreuse. Ghaylène s'accrocha à son rêve, se battit pour le pétrir, de ses mains, en fit un roc qu'il poussa, de toutes ses forces, avec rage, malgré le discours décourageant de « Maymouna », son opposition au projet, ses inquiétudes, ses peurs. Il se battit contre les éléments qui se vengèrent de l'obstination d'un homme seul. Ton Sisyphe ne fut ni triste, ni désespéré, il hissa son rêve et son rêve le poussa, lui donna de l'élan, de l'enthousiasme et de l'ardeur. « Il faut imaginer un Sisyphe heureux », satisfait de sa destinée, condamné à rouler son rocher jusqu'à la cime de la montagne. Mais, combattant pour que la vie soit. Ton Sisyphe triompha de ses propres interrogations, de ses incertitudes, de l'attitude décourageante de sa femme, de la passivité des habitants, de l'âpreté d'une tâche répétitive, ennuyeuse, épuisante. Il affronta une réalité difficile, ardue, et opta pour le règne d'un rêve haut et beau, le triomphe de la volonté, de l'endurance. Tu fus un révolté comme ton personnage, un indigné contre la stagnation ambiante, contre le spectacle de ceux qui se soumettent à une fatalité implacable, à un monde déraisonnable, ceux qui se réfugient dans la désespérance face au mal, ceux qui plient le genou, abandonnent la lutte. Tu menas tant de combats, sur tous les fronts, fis face à tant de défis, t'élevas contre une colonisation qui minait le pays, contre l'ignorance, l'analphabétisme, les mentalités arriérées et rétrogrades. Tu fus un Sisyphe bouillonnant et déterminé. A bout de bras, tu soulevas le roc de nos rêves, le traînas jusqu'aux cimes. Sisyphe, tu fus, le « sage » de la cité, incarnant ce combat impératif pour que triomphe la vie, grâce à la ténacité d'un rêveur impénitent, les pieds bien ancrés au sol et la tête dans les étoiles. Tounès THABET « L'important est qu'ardeur Fille de l'extrême ferveur Ne ferme point ses portes » Mahmoud Messaadi, « Le Barrage »