Le 29/06/2007, le journal Le Temps publie un article intitulé : " Les candidats au bac face à un épouvantail ", l'article se propose de répondre à cette question centrale : " Fiasco général en français : pourquoi ? " La lecture d'une telle question laisse deviner la suite : un diagnostic des causes de ce " fiasco " et éventuellement la désignation de ceux qui en sont responsables. Ce que l'auteur fait dans un texte épousant la forme conjugué du réquisitoire et du plaidoyer. Sans vouloir offenser personne, " l'avocat " passe à côté de l'essentiel d'un côté comme de l'autre. Examinons tout d'abord le réquisitoire : en quoi consiste-t-il au fait ? En ceci, ce que n'ont cessé de répéter les élèves en difficulté mais que n'ont pas dit les bons : les questions portant sur le texte ne sont pas tout à fait claires, le barème est mauvais et l'essai mal formulé... Ce à quoi on peut aisément objecter la chose suivante : quel sujet littéraire peut échapper au délit d'imperfection ? Toute la question est là. Le sujet parfait n'existe pas et on trouvera toujours à redire là-dessus. La perfection, sur un plan théorique, n'existe que dans nos esprits. Sur le plan pratique, elle est soumise à la règle du succès et de l'insuccès. La chose n'est pas parfaite en elle-même. Elle est parfaite quand on la réussit, imparfaite quand on la rate. Et si, pour le cas de cette épreuve de français la majorité écrasante des gens, se plaint, c'est exactement parce que cette épreuve a été parfaitement ratée (Maître Jean a magistralement illustré cette situation par sa fameuse fable : Le Renard et le raisin). Pour en être davantage convaincu, méditons ceci : vous proposez un sujet médiocre. S'il est réussi, tout le monde (sauf le peu d'esprits lucides) en dira grand bien. Mais l'article cite encore dans ces pièces à conviction l'argument de l'intransigeance des consignes de correction. Là aussi, il y a erreur de jugement dans la mesure où ces consignes sont loin d'être sacrées : à plusieurs reprises, quand ils le jugent nécessaire, les professeurs correcteurs arrivent à infléchir certaines décisions et rectifier le tir. Ceux qui corrigent le bac ou y participent de près ou de loin ne sont pas des bourreaux. Ils sont plutôt des gens dignes de confiance habités par le seul souci éthique de donner à chacun toutes ses chances et de veiller scrupuleusement à éviter toute sorte d'injustice. Disons donc pour clore ce chapitre du " réquisitoire " que toutes les accusations fourbies à l'endroit de l'épreuve sont très subjectives ce qui nous conduit au second volet : le plaidoyer. Et c'est là où nous voulons principalement en venir. On n'a pas besoin de lire deux fois l'article en question pour déceler un parti pris (fait en toute bonne foi, soit dit en passant) en faveur des élèves royalement installés dans la position Ô combien confortable et rentable aujourd'hui de la victime comme le laissent nettement entendre ces termes : " embûche ", " pénaliser ", " incriminé "... Comme si (les pauvres !) l'on avait choisi de les soumettre aux pires des châtiments. Les voilà du coup lavés de toute responsabilité (Même si un timide et stratégique reproche a été murmuré à leur endroit) d'autant plus que l'auteur, croyant sans doute bien faire, brandit l'exemple de la difficulté de la maîtrise du français en France insinuant par là que chez nous on a envie d'être plus royaliste que le roi. Alors tant qu'on y est, pourquoi ne pas proposer des épreuves sur mesure (genre relier par des flèches, classer des arguments, remplacer des outils de liaison par d'autres...), car n'exagérons rien, c'est là où ces propos peuvent nous mener. Voir le mal là où il n'est pas est dangereux. C'est comme le médecin qui diagnostique un mal de tête à la place d'un cancer. Quand bon nombre d'élèves ont un zéro sur vingt dans une épreuve de langue, le problème n'est plus celui d'imperfection dans le sujet mais de compétences requises. Dès lors la question que l'on doit méditer avec courage et qui doit engager la responsabilité de tout le monde (famille, école, autorités de tutelle, ...) est la suivante : que doit - on faire, chacun dans le domaine de sa responsabilité et compétence, pour que des élèves au terme de dix années d'apprentissage du français puissent avoir le niveau requis. Et plutôt que de revendiquer une sorte de nivellement par le bas, osons le défi de tirer vers le haut ceux qui font tout pour rester au contact des bas fonds. Car c'est là le vrai défi démocratique. Le plus urgent serait d'abord de renoncer à ce discours victimaire et de cesser de caresser les jeunes dans le bon sens du poil pour leur apprendre le sens de la responsabilité. Ceux-ci doivent apprendre à reconnaître leurs défauts pour cesser enfin de désigner en permanence les autres ou le destin comme les agents de leurs déboires. Il y a urgence aussi à les réconcilier avec la discipline dans toutes ses acceptations. Un élève qui considère qu'il a le droit d'entrer dans un cours sans livre ni cahier, un élève qui pouffe d'un rire narquois quand on lui conseille de lire une page (Et ce profil prolifère de plus en plus)... ne doit s'en prendre qu'à lui même d'abord. Ethiquement, il n'a pas le droit de faire le procès des autres, étant lui-même le principal coupable. Comment réhabiliter la culture de l'effort, comment réconcilier des têtes rebelles avec la lecture, la poésie, l'art, le goût de l'imaginaire, le parfum du papier et la magie des mots, comment les arracher au diktat du positivisme ambiant, comment les arracher à l'illusion du bonheur facile et à la poigne de la futilité cathodique... ? Tout un programme qui suppose une éthique, une esthétique et une politique. Apprendre le français, c'est avant tout apprendre l'art d'être un citoyen du monde...