« Si tu punis le mal que je fais par le mal, quelle différence y a-t-il entre toi et moi ? C'est là le cri de révolte, quoique drapé de mysticisme, d'Omar El Khayam. Au-delà de la dialectique, le Bien/le Mal, le poète perse place le crime et le châtiment dans une même logique. Au bout , c'est le mal. Au nom des Droits de l'Homme, au nom de la lutte contre le terrorisme, l'Amérique a envahi l'Irak et déchu un président ayant régné en despote absolu durant près de trente ans. Or la motivation essentielle est la même, récurrente, irrépressible même : « les affaires » comme les a désignées James Becker pour justifier la « Tempête du désert » de 91. Si l'on croit un seul instant que les Américains - qui ont fabriqué de toutes pièces Oussama Ben Laden pour mâter le communisme en Afghanistan, quitte à tolérer ces sanguinaires de Talibans ; qui avaient auparavant, confié à Rumsfeld la mission d'éloigner Saddam Hussein de Moscou pour le rapprocher de Washington et le convaincre d'attaquer l'Iran - si l'on croit donc un seul instant que leur souci majeur c'est la stabilité de la région au nom du Grand Moyen Orient, eh bien ! on se trompe lourdement. Ce que James Becker appelait « les affaires », cela voulait dire les intérêts pétroliers des Etats-Unis. Et, si l'on croyait un seul instant que George Bush avait vraiment envie de capturer Ben Laden, là aussi on se tromperait. Les Américains avaient besoin d'un coupable pour répondre des cataclysmes du 11 septembre 2001. Faute de leur fournir le bon, les néo-conservateurs se sont dès lors arrangés de sorte à faire confondre - comme dans une habile opération de chirurgie plastique - les traits de Ben Laden dans ceux de Saddam, deux personnages que tout éloigne l'un de l'autre (idéologie, convictions religieuses) mais que rapprochent deux éléments édifiants : la schizophrénie, dans le sens politique du terme, et des flirts (chacun à un certain moment de sa vie) avec Washington... Saddam Hussein est coupable de crimes contre l'humanité. Soit. Mais ces crimes, les a-t-il commis seul ? En fait, c'est quand même diabolique de la part des Américains : le mobile du crime ou les mobiles des crimes commis par Saddam (exactement comme Pinochet) sont leurs faits à eux. En d'autres termes, ce sont eux qui commanditent « ces dérives » mais les exécutants des actes se retrouvent sans mobile... Et pour peu que les « amis » dépassent certaines limites - à savoir lesquelles ! - On redistribue aussitôt les pions sur l'échiquier ... Jusqu'à ce que l'on n'y comprenne plus rien, exactement ce que disait Lawrence d'Arabie quand, au contact des tribus et des seigneurs d'Arabie, il prophétisa que l'Empire Britannique s'apprêtait à dessiner une géographie « contre-nature », une espèce de bombe à retardement. Au sommun de sa puissance, Saddam n'a pas su s'arrêter. Il « régna », d'ailleurs, à la manière d'un Hajjeje Ibn Youssef. N'avait-il pas quand même endigué la déferlante chiite de Khomeiny ? A cette époque là, les diplomates de l'Occident et ceux des monarchies du Golfe se bousculaient pour un rendez-vous à Bagdad ! Hier à l'aube, un homme, au bout du rouleau, qui ne représentait déjà plus rien de ce qu'on lui avait demandé d'incarner - panarabisme, baâthisme, sunnisme - était suspendu à une corde au bout d'un procès par procuration, d'une parodie de souveraineté irakienne. Mais surtout, il aura été exécuté alors que trois millions de Musulmans se rassemblaient sur le Mont Arafat. Il ne s'agit plus d'Irak. Il ne s'agit plus de justice, ni de crimes contre l'humanité. Il ne s'agit pas de chiisme, ni de sunnisme, ni de dictature, ni même de Saddam. Une exécution médiatisée de manière cynique et, même, morbide, un jour d'Aïd, cela choque les Musulmans. Et, il y a à espérer que cela ne remette pas le feu aux poudres de la guerre des religions et des conflits ethniques et entre musulmans. Le Pape l'a compris. Bush, lui, a l'impression que c'est le Bien qui triomphe du Mal. Et d'ailleurs, ce côté « télévision » de l'exécution est très américain : on y filme souvent l'exécution d'un Serial-Killer. Pitié pour le peuple d'Irak. Pitié pour la souveraineté irakienne. Saddam mérite, certes, d'être jugé. Mais les Irakiens et eux seuls étaient en droit de le juger et de choisir la date et le lieu de sa mise à mort.