L'année culturelle 2010/2011 a été marquée par des événements en rapport direct avec la Révolution du 14 janvier 2011. Au lendemain de la Révolution, toutes les librairies de Tunis affichaient les publications interdites sous l'ancien régime de Ben Ali. « La régente de Carthage », « Notre ami Ben Ali » et d'autres ont connu un franc succès auprès d'un lectorat qui en était privé. Puis, écrivains et journalistes tunisiens et étrangers se sont vite précipités sur l'événement historique et l'ont immortalisé dans des ouvrages souvent écrits à chaud dans lesquels leurs auteurs expriment en toute liberté leur point de vue sur la politique. Des livres à profusion Parmi les livres récemment publiés celui de Sami Ghorbal ancien journaliste à « Jeune Afrique » qui a réalisé un opus intitulé : « Le Bourguibisme et l'Islamisme », dans lequel il propose une vision de l'islamisme du président Bourguiba. Ce dernier reste au centre de plusieurs publications dont une à paraître signée par Mohamed Sayah, ex-ministre sous le régime de Bourguiba, sur le célèbre voyage de ce dernier au Moyen-Orient où il avait prononcé le discours à Jéricho et dans lequel il invitait les Palestiniens à accepter une paix progressive. Politique et histoire se mêlent dans le prochain livre de Habib Boularès, ex-ministre sous Bourguiba, « Hannibal ». Un livre illustré parcourant la préhistoire à la révolution en passant par toutes les étapes importantes qu'a connues la Tunisie. Beaucoup plus proche de nous, Mohamed Bouazizi, dont le suicide a été l'étincelle qui a déclenché la Révolution tunisienne et le Printemps arabe, une journaliste française s'est penchée sur le sujet et a mené une enquête pointue sur cette séquence qu'elle publiera dans un livre sous forme de biographie de Bouazizi. Dans le même sillage, Anissa Belhassine a elle aussi mené une enquête sur la Tunisie profonde en suivant le pas d'un ex-ministre du gouvernement Ghannouchi 2, en l'occurrence Yassine Brahim, qui occupait deux départements : les transports et l'équipement. A l'issue de son parcours dans les régions du pays, elle a réalisé une sorte de radiographie des zones sinistrées où les inégalités ne se comptent pas. Parmi les auteurs qui s'invitent chez nous et choisissent de se faire éditer en Tunisie, Pierre Vallaud, historien et proche de la Tunisie ainsi que Yves Aubin de la Messuzières, ex-ambassadeur de France en Tunisie qui réservent une part importante à la Tunisie, qu'ils connaissent bien, dans leur prochain Atlas stratégique de la Méditerranée. « Printemps de Tunis, la métamorphose de l'histoire » de Abdelwaheb Meddeb. Il s'agit d'un genre nouveau qui allie la chronique et le texte de création dans lequel est célébrée la sortie d'une malédiction qui s'appelle dictature. Notre collègue journaliste Mohamed Bouamoud a publié « Bouazizi ou l'étincelle qui a destitué Ben Ali », récit dans lequel il revient sur le suicide de Bouazizi et le déclenchement de la Révolution. Alif a édité un imposant ouvrage, « Dégage » comprenant des témoignages et des photos exceptionnelles sur les péripéties de la Révolution. Ce ne sont là que quelques exemples de production éditoriale très riche mais souvent de valeur inégale mais qui a changé le paysage culturel tunisien. Le cinéma attaqué Sur le plan cinématographique, la saison, a été compliquée. Certains révolutionnaires barbus en l'occurrence, au nom de la liberté d'expression, s'en sont pris au cinéma, une de leurs premières cibles qu'ils veulent condamner à jamais en recourant à des opérations d'intimidation et d'humiliation qui se sont soldées par des scènes de violence et de barbarie dignes du Moyen-âge. Il y a eu tout d'abord, la séquence avec Nouri Bouzid, réalisateur de « Making of », film dénonçant l'intégrisme. Un coup de bâton qui lui a été porté sur la tête par un illuminé a failli lui être fatal. Et puis, la séquence du cinéma AfricArt saccagé à cause du film « Ni Allah, ni maître » de Nadia El Fani qu'ils considèrent trop laïc à leur goût. La réalisatrice a dû fuir en France de peur d'être agressée puisqu'elle a reçu des menaces de mort. Et enfin la troisième séquence concerne la chaîne « Nessma TV » pour avoir diffusé un dessin animé franco-iranien « Persepolis » de Marjane Saprati, film qui représente Dieu sous le regard d'une fillette. La maison du propriétaire de la chaine a été brûlée. Face à la dangerosité des événements, ce dernier a dû faire marche arrière en présentant ses excuses, mais il a été quand même attaqué en justice pour avoir diffusé ce film. Mis à part ces tristes épisodes, l'événement le plus marquant est le décret loi portant la création du Centre National du Cinéma et de l'Image (CNCI) qui ouvrira de nouvelles perspectives pour le cinéma tunisien. En attendant sa concrétisation, plusieurs cinéastes ont filmé la Révolution sous toutes ses coutures, avant, pendant et après. Le plus rapide est Mourad Ben Cheikh, dont le documentaire « Plus jamais peur », traitant de trois figures emblématiques de la Révolution, a été sélectionné à Cannes, l'un des plus importants festivals du cinéma, mais il a également fait le tour du monde. Sa sortie en Tunisie n'a pas fait grand bruit. D'autres cinéastes comme Mohamed Ali Nahdi, Néjib Belcadhi, Mohamed Zran ont filmé cet événement historique mais n'ont pas encore terminé leur opus. Certains ont montré des fragments lors du Doc à Tunis qui ne donnent pas une idée exacte sur la teneur du propos, ni sur la démarche esthétique entreprise. Côté amateurs, on a pu constater au cours de la dernière session du festival international du film amateur de Kélibia (FIFAK) que de nombreux jeunes ont apporté leurs témoignages souvent poignants sur la Révolution sachant que la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA) est l'un des berceaux de contestation, qui fut toujours brimé et étouffé par l'ancien régime. Après cette effervescence révolutionnaire, les tensions se sont apaisées et une accalmie semble regagner la scène cinématographique. Reprises des tournages de film ayant obtenu l'aide à la production l'an passé. Nouri Bouzid tourne « Mille son nouvel opus, Néjib Belkadhi « Bastardo » et Moslah Kraiem « Bab el Fella ». Effervescence des arts plastiques Les arts plastiques ont beaucoup contribué à donner un sens à la Révolution. De nombreuses expositions mettent en valeur les œuvres de jeunes artistes ayant choisi de traiter de la Révolution tunisienne. L'exposition annuelle de l'UPAT ainsi que d'autres expositions individuelles dont celles de Mourad Habli, Hayet Chebili ont tourné autour de cette question et celle aussi de la citoyenneté, sans oublier les expos de rue réalisées à partir d'installation dont les fameuses voitures brûlées pendant la Révolution et utilisées à des fins artistiques. La Révolution a été également mise en scène au théâtre par différentes jeunes troupes théâtrales parfois de manière maladroite rien que d'être au cœur de l'événement. Parmi les pièces les plus abouties « L'isoloir » de Taoufik Jebali ou encore « Bourguiba », le monologue de Raja Farhat. Il y a aussi « L'homme à l'âne » de Fadhel Jaziri, programmée à l'ouverture des prochaines JTC, se penche sur la question du pouvoir. D'autres créations théâtrales ayant pour thème principal la révolution et ses conséquences sur la société seront présentes au cours de ces JTC, une fête théâtrale qui inaugure l'année 2012.