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«La montée de l'islamisme en Tunisie avec la matrice fondamentaliste, a été stimulée et cautionnée par l'OTAN et le dispositif occidental»
Ennahdha est-elle le produit de la Mondialisation et de l'Occident ?
Publié dans Le Temps le 12 - 01 - 2012

Interview de Aziz Salmone Fall- Politologue et universitaire
Entretien conduit par Haykel TLILI - «Aziz Salmone Fall est politologue internationaliste d'origine sénégalaise et égyptienne. Il enseigne les sciences politiques, l'anthropologie, les relations internationales et le développement international à l'université McGill et à l'UQAM. C'est aussi un ancien coordonnateur du réseau québécois contre l'Apartheid et fondateur et membre du GRILA (le groupe de recherche et d'initiative pour la libération de l'Afrique) dans lequel il coordonne,
depuis 14 ans, avec un collectif de 21 avocat-e-s des personnalités et divers organismes, la première campagne internationale africaine contre l'impunité. Dans la résolution de la crise au Burundi, il a formulé à Genève le plan de la première force d'interposition africaine Africa-Pax. Il est aussi co-Fondateur et co-coordinateur du mouvement des assises de la gauche MAG au Sénégal. Le politologue propose le panafricentrage pour sortir l'Afrique de sa condition. Nous l'avons rencontré lors de sa visite en Tunisie, interview…
Le Temps : la nouvelle donne en Tunisie est quelque peu difficile à lire. Comment voyez-vous le nouveau paysage politique en Tunisie, et quels sont les enseignements qu'on peut en tirer ?
Aziz Fall : Il y a plusieurs remarques à faire. Tout d'abord la nature même des attelages hétéroclites qui sont à la tête du pouvoir, il y a les attentes de certaines forces révolutionnaires, il y a aussi ceux qui n'ont pas eu de meilleures voies pour s'exprimer, ainsi que les forces qui se sont trouvées en dehors du gouvernement et qui se trouvent préoccupées par pas mal de questions. C'est finalement un amalgame d'expectatives et de frustration. On note aussi les changements macro assez importants sur la scène régionale qui vont probablement avoir leur influence, notamment au niveau financier ainsi qu'au niveau de la pure politique. Tout cela rend les choses de plus en plus compliquées. J'aurais voulu qu'on revoie tous ces changements et tous ces effets macro, afin de permettre à la Tunisie de se repositionner sur les plans régional et continental. Il faudrait, en même temps, apporter des réponses à plusieurs questions : quels sont les défis pour cette Assemblée Constituante ? Quelles sont les possibilités de cohabitation ? Quelles sont les perspectives pour traduire toutes ces aspirations révolutionnaires, notamment celles émanant de cette jeunesse tunisienne qui s'impatiente ? Ainsi que les chances de gérer cette transition ? Tous ces points là demeurent encore sans réponse claire.
* Comment expliquez-vous la montée des Islamistes ?
-Quand je suis passé la première fois après le 14 Janvier, c'était juste l'été dernier. J'ai essayé de comprendre les possibilités et les perspectives d'union des forces progressistes. On commençait déjà à remarquer une prolifération des partis. Et dans les initiatives pour expliquer aux différents partenaires progressistes, principalement les forces de gauche, on était d'accord sur le fait que si on ne parvenait pas à s'unir, c'est qu'on allait aboutir à une déferlante. Et cela déboucherait à l'avantage des Islamistes. Etant donné qu'il y a de l'autre côté différents clivages dont le foyer est la crise originelle des Frères Musulmans en Egypte, et où la matrice peut varier selon les régions, ainsi que d'autres formes de fondamentalisme qui même si elles peuvent paraître plus modérées, ont été acceptées et même cautionnées par le dispositif de l'OTAN et le dispositif occidental. Parce qu'il ne contredit pas la gestion néo-libérale de l'économie mondiale et qui correspond aussi au nouveau pavage étatique à l'issue duquel la perspective de l'Etat palestinien aboutirait. Donc, pour les teneurs de l'ordre mondial, qui ne voient pas que cet Etat de Palestine soit autre chose qu'un petit archipel peu viable, le pari fait par l'impérialisme mondial, c'est que les Révolutions dans le monde arabe ne doivent pas aboutir à des changements démocratiques. Et l'une des façons ne serait pas forcément de créer la Contre-révolution, mais plutôt de maintenir des régimes rétrogrades, c'est-à-dire des régimes de nature compradore, qui acceptent la subordination de l'ordre mondial, en notant qu'il y a un statut-quo mais qu'ils gèrent. Les islamistes sont pour l' « Infitah », c'est-à-dire pour l'ouverture au capital étranger et à la trans-nationalisation. Ce qui pose problème, c'est que pour un pays comme la Tunisie, l'aspect financier est un aspect très particulier. La Tunisie a été colonisée par la finance. C'est l'un des rares pays où on n'avait pas besoin d'utiliser autant de baillonnettes et de canons, mais plutôt de mettre en œuvre le dispositif financier. Ces montages financiers, vont encore une fois s'activer et agir cette fois-ci dans le dispositif de transition, et risquent d'hypothéquer la possibilité de réaliser les objectifs révolutionnaires.
Qu'est-ce-que tout cela peut-il vraiment prouver ? Et quels sont les risques à prévoir ?
Il n'existe pas de contradictions avec les teneurs de l'ordre mondial, d'accepter le fait fondamentaliste et de voir aujourd'hui que la physionomie des Etats de l'Afrique du Nord a changé, à l'exception de l'Algérie qui a déjà connu le phénomène. Toujours est-il, il y a un désenchantement de la population exaspérée parce que la mondialisation n'est pas parvenue à réaliser les aspirations de ces populations, qui se sont tournées donc de façon culturaliste vers une option qui pourrait éventuellement résoudre. Or, les tentations possibles sont soit le populisme soit l'islamisme. Ceci vient du fait que les forces qui auraient pu assurer l'alternative, essentiellement les forces de gauche, sont émiettées. Dans le cas tunisien, elles se sont trouvées émiettées encore davantage au niveau de divisions crypto personnelles qu'au niveau de divisions idéologiques réelles. Et j'ose espérer que les nouvelles générations, mais là aussi j'ai des doutes, ne soient pas elles enfermées dans ces problèmes crypto personnels qui sont nés de l'ère bourguibienne et l'ère post- bourguibienne. Ce qui est fascinant dans la situation actuelle, c'est la physionomie à la fois de l'Assemblée Constituante, et la physionomie de ce qui se fait de façon sous-jacente dans une zone qu'on pourrait déterminer de centre droit et de centre gauche, qui occupent l'échiquier politique et qui a confisqué pour l'instant les revendications révolutionnaires grâce au dispositif électoral.
Beaucoup de questions se posent quant à la période que pourrait prendre la rédaction de la Constitution. Mais ce sont surtout les questions économiques qui sont les plus gênantes, que faudrait-il faire selon vous ?
On peut être un peu sévère en disant que la Révolution a été quelque peu circonscrite par une démocratisation, ce qui est quand même bien, puisque le pays aurait pu s'enliser dans le chaos, mais que le mandat donné à l'Assemblée Constituante n'est pas un mandat de gouvernement. C'est un mandat limité à la rédaction de la constitution tout en gérant la crise. Le contenu de l'AC ainsi que la façon avec laquelle il va être discuté font que ceux qui ont gagné ont aujourd'hui une sorte de monopole, sans que cela ne puisse dire que les autres n'ont pas un accès. La question du délai a posé toutes sortes de débats, à savoir est ce que oui ou non on peut tout achever au bout d'une année, ou est ce qu'on tend à prendre encore plus de temps. On reproche à ceux qui détiennent actuellement le pouvoir d'être ambigus, de ne pas tout dire clairement, alors qu'ils devraient le faire. On ne peut pas préjuger les changements à faire et à la fois fixer des dates butoirs. Même s'il fallait le faire. On s'était mis d'accord sur une période pouvant atteindre un an et demi, si on dépasse cette période là, on peut commencer à se poser des questions sur les diligences et les retards qui peuvent être provoqués. C'est un exercice à la fois démocratique et institutionnel essentiel qu'il faudrait faire. Mais il n'y a rien qui porte à croire qu'on s'achemine vers des changements du système économique.
Comment expliquer cela, et quel serait, selon vous, le meilleur modèle économique à adopter en Tunisie surtout à la lumière des tractations politiques existantes ?
La Tunisie est malheureusement enfermée dans un système économique mondialisé, financiarisé de type néolibéral qui conditionne la suite des événements. L'attelage islamique actuellement mis en place, ne permet, ni idéologiquement, ni économiquement de changer ces dispositifs. C'est donc une sorte de gestion de la crise. On peut dégager trois phénomènes, le premier concerne les partenariats public- privé (PPP), encouragés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. C'est une arme à double tranchant, parce qu'il faut que le dispositif financier et les banques tunisiennes soient sains, mieux gérés avec une capacité de supporter ce type de partenariat, et rien ne le prouve encore. Le deuxième élément concerne le dispositif affairiste de l'ère Ben Ali, qui doit être plus transparent et plus opérationnel et que les anciennes pratiques affairistes ne perdurent pas. Quelque chose qui n'est pas encore réglée, car il faut au même moment régler le retour des enrichissements illicites, ce qui n'a pas encore été fait. Un fonds souverain géré par un système de justice vérité- réconciliation peut résoudre ce problème, afin d'éviter un retrait brusque de l'ensemble de ces entreprises, ce qui pourrait avoir des effets assez négatifs sur l'économie nationale. Le troisième point concerne toutes ces forces très importantes politiquement qui n'ont pas participé au processus électoral, qui sont toujours là et qui sont liées à des forces concentriques de l'ère destourienne bourguibienne, qui défendent l'idée de la ‘Tunisianité', avec des idées sur la laïcité et l'Islam tunisiens. Il s'agit de forces qui n'ont pas encore réussi à émerger et qui semblent vouloir élargir le dispositif politique pour arriver comme une nouvelle formation, ou simplement coopter celles qui sont déjà là pour occuper l'espace du Centre Gauche au Centre Droite.
Comment alors positionner le parti Ettakattol qui appartient en effet à cette famille, mais qui est actuellement membre de la Troïka ?
Justement, cet espace est actuellement occupé par Ettakattol, qui a le mérite de faire partie de l'exercice extrêmement difficile de la cohabitation. Là, il faut dire que ce n'est pas un parti qui a eu la chance de négocier cette position, mais c'est le reflet de sa position électorale qui l'a mis devant ce choix. C'est un certain courage qui explique d'ailleurs qu'il cristallise actuellement toutes les critiques, comme un bouc émissaire. Des critiques qui sont, d'après moi, sévères et injustifiées, parce que c'est un parti qui sert actuellement de tampon entre un radicalisme islamique qui est rampant et qu'il ne faut pas sous-estimer. La Tunisie n'est pas encore le prototype, mais il existe des forces enclines qui vont encourager cela. Ce n'est pas propre à la Tunisie étant donné que ce phénomène existe dans toute l'Afrique du Nord. Ce sont, pour moi, des forces à caractères rétrogrades et qui doivent même être combattues.
Qu'en est-il des pays de l'Afrique Subsaharienne qui peuvent voir en la Tunisie un modèle à suivre ?
Nous qui venons de l'Afrique Subsaharienne considérons que la Tunisie est une culture différente. Dans la philosophie islamique, l'école de Kairouan est l'antre de la philosophie de lumière islamique. C'est un Islam tolérant, ouvert sur les droits, autant ceux des femmes que ceux des hommes, ouvert sur la tolérance et le respect des autres religions et ouvert sur une conception de l'Oumma islamique véritablement syncrétique et qui accepte vraiment une souplesse dans la foi. Ceci est difficilement compatible avec une vision rigoriste importée des matrices de Frères Musulmans qui veulent s'insérer et maquiller une nouvelle forme.
Mais Ennahdha est un parti tunisien qui représente beaucoup de différentes franges de Tunisiens !
Oui et non. Car à l'instar des autres formations il y a la coloration des Frères Musulmans. Il y a à la fois dans l'économie politique du fondamentalisme différentes acceptions dans tout le Maghreb ainsi qu'au Moyen Orient. Il y a idéologiquement un creuset qui est la matrice conceptuelle et philosophique de ces différentes couleurs. Qu'elle soit l'acceptation tunisienne de cette matrice !! Oui, mais elle ne peut pas être coupée de cette matrice des Frères Musulmans. Et je crois que cette formation politique n'a pas le monopole de l'Islam. Si les autres formations politiques avaient le courage de montrer qu'il existe un islam tunisien, qui n'a pas besoin d'être fondamentaliste ni intégriste pour faire la chose politique, et qui montrerait la particularité et la spécificité de la tunisianité dans l'islam tunisien, je crois qu'à ce moment là, le peuple tunisien qui a été fortement dépolitisé prendrait la juste mesure, que ce n'est pas par la religion qu'on va mener la chose politique. Parce que le défi majeur de la Tunisie, c'est tout d'abord une politique de décentralisation des régions qui est très mal faite. Une politique de dépassement des rivalités, de type quasi tribal, qu'il faudrait réellement dépasser par une politique d'harmonisation et cristallisation plus courageuse.
Loin de ces tractations purement idéologiques, les problèmes des régions et des jeunes tunisiens sont assez pressants ! Comment faudrait-il faire, selon vous ?
Je crois, dans la perspective des élections qui vont arriver, qu'il serait indispensable de comprendre quel est le projet de société pour un pays comme la Tunisie ? Un projet qui ne repose plus sur un modèle de type affairiste/ touristique, alors il faut revitaliser l'agriculture de ce pays. Ce qui passe par la valorisation des sols, par la réinsertion du tissu social de la jeunesse dans l'agriculture, qui est un domaine très utile et qui peut être très porteur. Ceci passe aussi par un autre dispositif économique d'insertion de la libre entreprise mais régulé par un Etat de droit. Cela suppose que les circuits affairistes qui ont existé dans l'ère de Ben Ali et qui doivent être réformés de façon à permettre une démocratisation de l'espace économique. Il s'agit là d'échelons verticaux, qui vont jusqu'au Omda et de façon transversale en insérant les jeunes et les femmes dans l'ensemble de ces dispositifs en amont et en aval. Il y a plusieurs exemples qui peuvent être donnés dans des zones comme Tozeur et Gafsa, ou la rente du phosphate peut donner la vie à un tissu industriel et amont et en aval et qui peuvent être plus porteuses, comme l'énergie renouvelable, la revalorisation des déchets pour générer de l'électricité, on peut desseller l'eau de mer. Il y a un tas de choses qui peuvent être faites, mais qui nécessitent une vision d'un projet de société autocentré et plus ouvert. A mon sens, c'est la seule condition pour pouvoir récupérer les demandes sociales. Et si on ne le fait pas, hélas, là c'est le spectre de la division et l'impatience des jeunesses dépolitisées. Car ce n'est pas parce qu'on a la capacité de dénonciation qu'on a la capacité de construction.
*Vous venez de mentionner un fait assez important, celui du caractère de la jeunesse tunisienne non politisée. Quels effets cela a sur le paysage politique tunisien ?
- Lorsque les régimes politiques de types dictatoriaux se sont installés pendant 20 ou 30 ans dans les pays africains, par des ajustements structurels, on avait réussi à dépolitiser des pans entiers de la société. C'était grâce à la gouvernance dite managériale qui donnait à de petits nombres de personnes la capacité de gérer un Etat absolument amaigri et qui dépérit, à un marché laissé à lui-même, de façon budgétivore et peu opérationnelle, à part pour quelques clans. Tous ces équilibres là risquent d'être des équilibres instables. Pour la Tunisie, un pays qui a donné à l'Afrique son nom, elle doit servir à tous les pays africain d'exemple, non seulement comme possibilité de sortie de crise, mais qui doit nous donner une deuxième vision d'intégration régionale nord- africaine et pan- africaine !
- Comment réussir tout cela, tout en sachant qu'il existe beaucoup de défis, et qu'en contrepartie la Tunisie est devenue actuellement un terrain de lutte entre plusieurs forces, qu'elles soient de l'Occident ou des pays du Golfe!?
* Il faut savoir que l'ordre mondial est en crise. Le capitalisme est rentré dans une phase d'automne et de déclin du fait de célérité et de son incapacité à gérer ses propres crises. C'est un système qui est non seulement en phase de contradiction, mais qui est aussi en phase d'implosion. Les épanchements que nous voyons en sont donc les réponses. Lorsqu'on est dépolitisé et mal organisé, les premiers outils sont ceux du sens. La religion et la culture sont des valeurs sûres. On en parle et on essaye de s'en emparer et de les transformer. Encore plus si les forces sont organisées sur ce cheval Troie, ce qui est en train de se passer. Dans l'espace arabo-islamique, autant en Afrique Subsaharienne qu'en Afrique du Nord, ces forces étaient dans l'ombre et en marge. Aujourd'hui, l'ordre mondial leur permet de rentrer. Il n'y a pas de nouveauté, parce que si les gens sont amnésiques ou ne comprennent pas, ces forces là sont déjà au pouvoir en Arabie Saoudite et dans les autres pays du Golfe. Et je ne crois pas qu'il s'agisse de forces de type démocratique. Il faut être assez naïf pour ne pas comprendre l'ampleur de ce qui est en train de se passer. En ce qui concerne les financements, je crois très vite qu'on va découvrir leurs origines. Les besoins en financements exprimés par la Tunisie sont de l'ordre de 15 à 20 milliards de dollars pour pouvoir réaliser les investissements dans les infrastructures et pour faire face aux demandes sociales. L'équation est très simple : les pays voisins qui auraient pu donner, par exemple l'Algérie n'a donné qu'une poignée de quelques dizaines de millions, mais aurait pu donner beaucoup plus. Peut être qu'elle se réserve le droit de donner plus, car n'oubliez pas qu'il y a une frilosité vis-à-vis à des régimes politiques qui s'avèrent après tout alliés à des forces opposées à celui qui gouverne en Algérie. Les occidentaux eux-mêmes ont proposé des investissements lors du sommet des G8 à Deauville. Ils avaient promis 20 milliards de dollars sur deux ans à l'Egypte et à la Tunisie, mais il s'agit là d'un montant qui correspond à des prêts qui étaient déjà programmés, il ne s'agit donc pas d'argent neuf. Les pays arabes sont, jusqu'à présent, assez ambivalents. Il est clair qu'en raison de la situation en Libye, le programme de la restructuration de ce pays devrait attirer une partie de la population et de la main d'œuvre tunisienne, mais il demeure cependant clair que les grandes gesticulations d'un métier que l'on voit actuellement, avec ces intentions d'intégration, sont liées au pactole libyen. Ce qui va engendrer une fuite de capitaux. On note ainsi le recyclage du pétrodollar dans cet espace, en faveur d'une libéralisation que la Banque Mondiale ne cesse d'encourager parce qu'on note l'absence d'argent frais de la part des bailleurs de fonds occidentaux qui sont en crise. Il est donc tout à fait possible, et même probable, de voir le recyclage de ces pétrodollars dans les espaces de libéralisation accrues par des partenariats public-privé, mais aussi, et cela aussi représente une des parties grises, à travers les actions à caractère caritatif. Parce que ce cheval de Troie qui a déjà été utilisé par le néolibéralisme, à travers les organisations dites non gouvernementales, qui sont les moyens les plus pratiques pour l'infiltration des champs sociaux, notamment dans les sphères ou l'Etat n'a pas la capacité d'infrastructure sociale pour l'éducation ou la santé. Et ce sont les canaux privilégiés, tels que c'était le cas en Egypte, où le régime de Moubarak avait toléré que ces sphères soient laissées aux Frères Musulmans, grâce à quoi ces derniers ont réussi à investir ces demandes sociales et par la suite engranger la réussite qu'on vient de voir récemment.
* Le rôle axial du Qatar a joué à travers le monde arabe et ces derniers temps en Tunisie ! Quelles sont ses manifestations et quels sont les objectifs de ce pays ?
- Il n'y a pas seulement le Qatar. Il y a des dispositifs plus grands, et il y a des nuances au sein même des forces islamistes. Ils sont différents et divisés même si on a l'impression qu'ils soient tous du même camp, alors qu'elles sont fragmentées en plusieurs familles. Parfois même ils se détestent. Par contre, ce qui est frappant, beaucoup dans ces régimes qu'on dit parfois modérés de nature islamiste c'est qu'ils ne remettent pas en question le dispositif du programme néolibéral. Leur attitude est plus du type réactionnaire et non pas révolutionnaire. Par contre, il est vrai qu'au sein de certaines, il peut y avoir des revendications qui peuvent paraitre plus radicales et ouvertes à la révolution. Actuellement, l'Arabie Saoudite et le Qatar sont les alliés des Etats Unis dans la région, ils sous financent des organisations caritatives, des programmes privé-public des fonds souverains qui contiennent un dispositif qui semble peu contester l'ordre mondial. Alors je ne vois pas comment on ne va pas avoir une plus grande ouverture libérale des régimes actuellement en place avec le dispositif de la Méditerranée et le dispositif du grand capital. Ceux qui osaient espérer une rupture du dispositif économique se trompent, et on risque d'avoir une perpétuation. Par contre, cela peut se faire de façon avec une plus grande intégrité. On pourrait avoir des pratiques qui ne seraient pas délictueuse et qui ne seraient pas de nature mafieuse, telles que celles de l'ancien régime en Tunisie. C'est au fait l'une des raisons qui font qu'Ennahdha a été élue, non pas pour la question de la religion, mais plutôt pour la réputation d'être correcte et intègre. Est-ce que cela va se faire ? Je l'espère, mais cela ne se ferait qu'avec la surveillance du peuple tunisien, qui n'est pas un peuple de dupes. Le réveil qui a eu lieu en Tunisie a bien montré que les gens ont cessé d'être dupes. Je compte sur la vigilance de la jeunesse. J'espère qu'ils vont se politiser.
Mais Ennahdha sera aussi sous la surveillance des autres forces politiques qui ont du pain sur la planche. Comment voyez-vous l'avenir de ces forces politiques là ?
Les partis de gauche ont ces problèmes crypto-personnels de gens qui ont l'âge de 50 ans et plus sur différentes sensibilités qui peuvent être dépassées par les jeunes et les générations à venir. Je crois qu'un parti comme Ettakattol ne devrait pas être indexé et marginalisé. Je ne crois pas qu'il ait trahi la gauche, étant donné qu'il a agi avec pragmatisme. Au contraire, je pense que c'est un bel exemple de la social- démocratie qui est actuellement le garant d'une certaine laïcité couverte, tolérante et qui respecte les échéances et le verdict électoraux. On ne peut pas dire que ce parti a trahi la gauche, mais qu'il a à s'enraciner encore davantage au sein de la population, un problème que tous les autres partis de gauche ont. Car c'est en dépit d'une rhétorique proche des aspirations populaires qui empêche cet enracinement. Je pense que c'est le problème de l'ensemble des partis, sauf Ennahdha dont l'enracinement est de nature religieuse et populiste. Il n'y a rien qui prouve que cela va perdurer, mais cela ne se consolidera que lorsque les autres s'affaibliraient.


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