Par Khaled Guezmir - Que pourrait faire un routard en une semaine, de plus que quelque 2000 km entre la France et l'Allemagne, et sonder les braves gens qui comptent dans les deux locomotives européennes à savoir les « citoyens » sur leurs sentiments et appréciations des événements révolutionnaires et post-révolutionnaires en Tunisie en l'an 2011 ! Commençons par l'Allemagne où je compte de nombreux amis, universitaires et de divers métiers. Dans ce pays, l'Etat appartient à ses citoyens et aucun homme politique si puissant soit-il ne peut ignorer la volonté populaire et surtout celle de la minorité. M.Keller, mécano, ami de la Tunisie, qu'il a visitée par deux fois, me demande de lui expliquer ce qui se passe réellement en Tunisie après la Révolution du « Jasmin » un mot qui lui fait revenir en mémoire tous les bons souvenirs de Hammamet et Kairouan. Là il faut déjà bien faire attention à ce qu'on va lui dire, les Allemands paraissent pour le commun des mortels des gens « modestes » et même naïfs sur les bords, mais en vérité ils sont très bien informés, par leurs télévisions, et c'est pas du toc ! Pour en être convaincu il faut revenir aux documentaires, bien nombreux du temps de la dictature de l'ancien régime, où la réalité tunisienne était scannée sans concession avec ses pointes d'humour sur le couple présidentiel de l'époque. C'est qu'en Allemagne il n'est pas facile de soudoyer, ou d'acheter un journaliste et même tout le « métier » de l'ATCE de l'époque, n'y peut rien ! Alors, je réponds : « La Tunisie va mieux, nous avons une assemblée constituante et un Président de la République, élus et même un gouvernement ! ». M.Keller esquisse un sourire comme pour dire : « Vous en êtres sûr », et d'ajouter et les « islamistes » ! La question revient sur toutes les lèvres et les gens ici ne comprennent pas ce que sont les islamistes tunisiens ni ce qu'ils veulent faire de la Tunisie. Alors j'essaie de lui faciliter la tâche, et comme il y a une grande communauté turque en Allemagne, je m'empresse de lui dire : « Ils sont comme les Turcs et leur chef Erdogan… Ils disent qu'ils vont respecter la démocratie de type occidental et tout ce qui s'ensuit, à savoir la liberté de presse, d'organisation et surtout l'alternance pacifique au pouvoir à travers les élections ». M.Keller n'est toujours convaincu et il me sort l'argument massue : « Mais, Monsieur, la démocratie laïque a précédé l'islamisme de M. Erdogan en Turquie. C'est la laïcité et la modernité qui ont permis à Erdogan de gagner les élections, mais, pas le contraire ». En fait, M. Keller voulait tout simplement dire, c'est M. Erdogan et son parti islamiste qui se sont adaptés aux normes de la démocratie libérale occidentale en réajustant leur idéologie vers un « Islam laïc » comme tout ce qu'on trouve dans la « démocratie chrétienne » en Occident… ! Je vous ai bien dit qu'on ne peut pas avoir ni embobiner facilement un Allemand ! Je reprends la route vers la France, mes pensées sont troubles à cause de ces derniers mois où l'économie souffre, la finance chavire et le tourisme est sinistré parce que personne n'a le courage de dire aux Tunisiens : « La seule révolution qui réussit c est celle qui regarde devant et réinstaure la discipline du travail après la lessive nécessaire et rapide mais non durable ». Chez nous, on a pris la mauvaise habitude du côté des gouvernements de courtiser les peuples même dans leurs extravagances et leur irrationalité et puis du côté des peuples de courtiser les apprentis « dictateurs pour vivre et survivre. La vérité libératrice c'est d'avoir une nouvelle approche de la politique qui doit s'identifier de plus en plus avec des mécanismes professionnels et durables. Les gouvernements doivent savoir qu'ils ne sont pas élus pour l'éternité et que l'alternance n'est pas une sanction humiliante mais thérapeutique et bienfaitrice pour tout le monde. Vouloir mettre aux pas la Presse, la société civile, l'université, les juges et même la police, c'est tout simplement anti-démocratique et même la négation de la démocratie. Fermer l'œil sur les contre-manifestants proches de la « milice » des temps anciens, c'est pousser à l'affrontement social et politique et tout cela pour quoi faire : garder indéfiniment le pouvoir ! Oui… l'alternance… l'alternance… c'est la mère des vertus en politique. Il faut la codifier dans nos lois et faciliter sa mise en œuvre pacifiquement. C'est la seule culture démocratique véritable !