Malgré leur sincérité, les nouvelles déclarations du chef du premier gouvernement provisoire issu de la Révolution, Mohamed Ghannouchi, jeudi 12 janvier , à la télévision nationale, n'ont pas réussi à lever tout le mystère qui continue d'entourer les circonstances de la fuite de l'ancien président déchu Ben Ali à l'étranger, le vendredi 14 janvier 2011, aux alentours de 17 heures de l'après midi, à bord d'un avion civil , à partir de l'aéroport international de TunisCarthage. A la lumière du cours tragique pris par les révolutions libyenne et syrienne, à cause de l'attachement maladif de l'ancien dirigeant libyen Ghadafi et de l'actuel président syrien Bachar el Assad au pouvoir, un départ précipité volontaire à l'étranger de la part de l'ancien despote tunisien, face à un soulèvement populaire pacifiste très limité dans le temps, pour sauver sa vie, est difficile à admettre, en se référant au passé sanguinaire et policier de l'homme. Il est vrai que les appareils sécuritaires corrompus sont très fragiles quelle que soit leur apparence de force et de solidité. Mais, Ben Ali avait-il épuisé tous ses atouts ? D'autant qu'il avait planifié de faire usage d'avions militaires pour bombarder les foyers insurrectionnels tenaces, comme Kasserine, selon les révélations de la Commission nationale d'investigation sur les abus sécuritaires au cours de la Révolution. Beaucoup de martyrs ont été tués, le 14 janvier, la nuit, après la fuite de Ben Ali, par l'armée et par la police, de sorte que la stricte application des directives, quelle que soit leur aspect répressif, était encore de rigueur. Les déclarations de M Mohamed Ghannouchi ont le mérite d'apporter un élément de réponse sûr. Ben Ali n'avait pas volontairement abdiqué, ni “déserté'', comme l'avait accusé le premier ministre du deuxième gouvernement provisoire, Béji Caid Essebsi. Il avait, au contraire, l'intention d'aller plus loin dans la répression du soulèvement , en essayant , au passage, la ruse de la récupération par le mensonge et les promesses fallacieuses ( arrêt de l'utilisation des balles réelles, décision de quitter son poste à la fin de son mandat, entre autres).On se rappelle que le régime beylical avait usé de la ruse pour mater dans le sang la révolution populaire de 1864 conduite par Ali Ben Ghédhahem, et qui était partie de la région de Kasserine, un des bastions de la Révolution tunisienne de 14 janvier. Ben Ali projetait donc de revenir au pays pour asseoir son pouvoir sur de nouvelles bases que lui seul connaissait apparemment, mais dont la première étape était la répression de la Révolution quelle que soit l'ampleur du sang à verser. Il était prêt à sacrifier jusqu'à 2000 citoyens (deux mille), selon Mohamed Ghannouchi, alors que le nombre des martyrs de la Révolution ne dépasse pas deux cent, si l'on excepte de pauvres prisonniers en fuite, tués au passage. Départ momentané D'ailleurs, il a confirmé le scénario du retour, à partir de son asile en Arabie saoudite, par la voix de son avocat libanais, Azouri, en prétendant que son départ était momentané, et qu'il lui avait été conseillé par le directeur de la garde présidentielle, Siriati, aujourd'hui en prison, sous prétexte qu'un complot se préparait contre sa personne et les membres de sa famille, ce qui parait probable, à la lumière de l'occupation de l'aéroport international de TunisCarthage, le vendredi 14 janvier, vers 15 heures par des formations sécuritaires insurgées agissant pour leur propre compte, sous le commandement d'officiers rebelles dont Samir Tarhouni. Quel avait été le but réel de cette occupation ? Etait-ce l'arrestation de Ben Ali, avant son départ, rendue plus facile à l'aéroport, en l'absence de la garde présidentielle ? Autant de questions qui restent sans réponses. La garde présidentielle était restée puissante, puisqu'elle avait tenté d'empêcher Mohamed Ghanouchi d'entrer au palais présidentiel, quelques heures plus tard. Mais à peine, ces formations sécuritaires avaient-elles fini d'occuper l'aéroport qu'elles virent l'avion de Ben Ali décoller vers 16 heures 30 d'une autre aire distance de près d'un kilomètre de l'aire principale. Les rebelles se contentèrent d'arrêter quelques gendres de Ben Ali, de la famille des Trabelsi, venus à la hâte tenter de fuir à leur tour à l'étranger. Selon des déclarations qu'ils avaient faites au mois de juin, les officiers rebelles dont Tarhouni ont qualifié leur action de rébellion indépendante de toutes les instances dirigeantes, au point que Mohamed Ghannouchi qui était, lors de l'occupation de l'aéroport, formellement, premier ministre, était prêt à leur céder la direction du pays. Dans une communication téléphonique avec Tarhouni, juste après l'occupation de l'aéroport, Mohamed Ghannouchi lui aurait dit : “ qu'est ce que vous allez faire maintenant, vous allez prendre le pouvoir ?''. Mais, ils furent, par la suite, arrêtés puis relâchés, et il s'agit là d'un autre point qui reste à éclairer. On connait maintenant la teneur de la communication téléphonique que Ben Ali avait eue la nuit du 14 janvier avec Mohamed Ghannouchi, à partir de l'Arabie saoudite. Dans une première version, Ghannouchi avait dit lui avoir affirmé,seulement, que le peuple était absolument hostile à son retour. Mais, il semble que Ben Ali, croyant être toujours maître de la situation, aurait ordonné à Mohamed Ghannouchi d'annuler toutes les décisions prises la nuit de 14 janvier concernant la cession du pouvoir et d'attendre son retour immédiat. On connait la suite des évènements.