A la fin de la première période de transition qui s'est terminée sans incident majeur par les élections du 23 octobre, les citoyens étaient optimistes : une assemblée constituante et légitime a été créée, elle a élu un président provisoire de l'Etat et constitué un gouvernement pour conduire la deuxième période de transition et parvenir à la stabilité après la promulgation d'une Constitution susceptible de fonder un Etat civique et démocratique. Cependant, peu de temps après, des doutes ont commencé à se manifester et la peur de l'avenir s'est emparée des citoyens au fur et à mesure que des notions appartenant au passé et n'ayant rien à voir avec la notion d'Etat civique ont été véhiculées par le discours officiel. Les mosquées n'ont pas tardé également à se transformer en lieux de conflits politico-religieux alors que ce sont des lieux de cultes régis par des textes de loi et relevant du pouvoir exécutif. Et on est allé jusqu'à recevoir des prédicateurs venant d'ailleurs, faisant dans la surenchère et connus pour leur mépris des droits de l'Homme. Il semblerait que les visites de ces prédicateurs s'inscrivent dans des agendas occultes qui menacent la stabilité du pays. Ils incitent à la violence et appellent à la ségrégation, au nom de la religion, entre des citoyens attachés à leur identité arabo-musulamane, une identité qui s'est construite dans un dialogue avec l'Autre depuis que les théologiens kairouanais ont fait briller du Nord au Sud une pensée islamique réfractaire à l'extrémisme. Ces prédicateurs s'immiscent dans les affaires nationales, remettent en cause la concorde sociale en incitant des Tunisiens à se déclarer comme les ennemis d'autres Tunisiens et en entretenant la tendance à l'anathème (takfir) et la violence. L'invitation de ces prédicateurs et l'organisation de leurs tournées dans les quatre coins du pays vise à diffuser une vision fondamentaliste et extrémiste que les théologiens de la Zitouna ont combattue au XVIIIe siècle, de même qu'elle a pour cible les acquis de l'expérience modernisatrice de la Tunisie en matière de droits de la femme et de la famille. Nous nous étonnons du fait que les autorités concernées permettent à ces prédicateurs de porter atteinte à l'intégrité des mosquées et à l'hymne national, de proférer des accusations d'apostasie et d'inciter à la violence alors qu'il s'agit là de délits passibles de sanctions selon la loi. Il n'est nullement surprenant que les citoyens se demandent, compte tenu de ce silence déconcertant, si le fait de laisser la voie libre à ces prédicateurs pour qui l'islam est un fonds de commerce et qui n'ont rien à voir avec l'islam n'est pas une manière de détourner les gens de leurs préoccupations réelles, à savoir : institutionnaliser les libertés individuelles et publiques, garantir les droits sociaux fondamentaux, répondre à la demande urgente en matière de développement régional et traiter courageusement les questions sociales et économiques. Nous exhortons les autorités concernées à appliquer la loi, à veiller à la neutralité des mosquées et à contrecarrer ceux qui sèment la violence et menacent la stabilité du pays. Nous les appelons aussi à se pencher sur les questions essentielles et urgentes précédemment indiquées.
Liste des premiers signataires
-Abdallah Ben Saad, universitaire et chercheur (Gabès) -Abdelmajid Charfi, ancien Doyen de la Faculté des Lettres et des sciences humaines Abdessatar Sahbani, universitaire -Adel Haj Salem, journaliste et militant des droits de l'homme -Ahlem Hannachi, universitaire et chercheure à la Sorbonne -AlAdel Khidhr, universitaire -Arbi Ben Thaier, universitaire -Assia Atrous, journaliste -Bechir Laarabi, Professeur en médecine -Chérif Ferjani, universitaire, Lyon II -Chiraz Ben Hamouda, Professeur de musique -Emna Menif, Professeur en médecine -Fadhel Jaibi, metteur en scène -Fethi Benslama, Professeur de Psychologie, Doyen à l'Université Paris-Diderot -Habib Ben Khalifa, Professeur en médecine -Habib Janhani, écrivain et universitare Habib Mallekh, universitaire -Hamda Mammar, militant des droits de l'homme -Hammadi Sammoud, Professeur des Universités -Hassen Tlili, journaliste -Hatem Achach, Psychiatre (Sousse) -Hédi Benmaiz, Professeur émérite en médecine, membre de l'Académie de médecine en France -Insaf Machta, universitaire -Iqbel Gharbi, universitaire -Jalel Gharbi, universitaire -Jalila Baccar, comédienne -Khaled Saddam, universitaire -Khémais Khayati, journaliste -Lotfi Benslama, Professeur en médecine (Paris) -Mohamed Chibani, universitaire (Sfax) -Mohamed Maalej, Professeur en médecine -Mohammed Agina, Professeur universitaire -Moncef Ben Abdeljalil, universitaire -Moncef Gabsi, universitaire (Sfax) -Moncef Ouheibi, poète et universitaire -Najet Tnanni, universitaire -Néjia Wiryemmi, universiataire -Raja Ben Slama, universitaire -Raoudha, Kammoun, universitaire -Saadeddine Zmerli, Pr en médecine, ancien Pt de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme -Sami Aouadi, Professeur d'enseignement supérieur Sonia Mhiri, universitaire -Taieb Doghri, Professeur en médecine