• «Vous persistez toujours à croire qu'il faut dialoguer avec eux, M. le Ministre des Affaires religieuses ?» Le refus de l'Autre ne cesse d'être la règle dans notre pays. C'est un refus apparenté à des considérations religieuses, identitaires ou politiques. La violence des salafistes va-t-elle se banaliser et occuper le paysage politique, jusqu'à être banalisée voire tolérée ? La Révolution de la Liberté et de la Dignité peut-elle vivre apeurée et accommodée avec cette violence ? Les derniers évènements à Kelibia, Souk Lahad, Douze au Sud du pays, Dahmani, laissent les observateurs sidérés. A Douz des citoyens de la région et Jawhar Ben Mbarek (Dostourna) ont été, vendredi dernier, victimes d'une attaque en règle et de violences verbales de la part d'un groupe d'illuminés en l'absence de réaction des forces de l'ordre. Le lendemain à Souk Lahad (Kébili), ces mêmes militants ont eu à subir des assauts brutaux et des atteintes aux biens matériels où l'on signale des dégâts corporels et des voitures endommagées. L'agression de Jawhar Ben Mbarek à Kébili a nécessité son admission à l'hôpital à Sfax. La section de Sfax de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme a précisé que samedi dernier, à Souk Lahad (Kébili), une réunion à huis clos était organisée dans le local de l'Union des Diplômés Chômeurs (UDC) entre sympathisants du Réseau Dostourna pour mieux faire connaître les objectifs du Réseau. La réunion a débuté vers 14H, avec une intervention de Jawhar Ben Mbarek suivie d'une courte discussion. Un groupe de salafistes a attaqué les assistants utilisant des gourdins et lançant des chaises sur les participants. Un groupe a pris à partie Jawhar Ben Mbarek en le brutalisant sauvagement. Un des agresseurs a demandé un couteau pour frapper la victime. Cet acte est un début d'une tentative d'assassinat. Raja Ben Fredj et Zohra Triki, ont essayé de le couvrir. Les participants habitants de Souk Lahed ont subi des coups de divers degrés de gravité. Même lorsque les invités ont rejoint leurs voitures, ils ont été attaqués. En moins d'un mois Jawhar Ben Mbarek fut victime de trois agressions Une pétition dénonçant ces agressions a été signée par plusieurs membres de la société civile comme Sadok Belaid, Yadh Ben Achour, Sana Ben Achour, Kaïs Saied, Haykel Ben Mahfoudh, Mohamed Salah Ben Aissa, Habib Kazdaghli, Sophie Bessis, Salwa Hamrouni, Habib Mellakh… Les signataires de la pétition expriment leurs plus grandes inquiétudes face aux menaces très sérieuses que ces agissements criminels représentent pour la sécurité générale dans le pays et pour les principes de liberté et de démocratie proclamés par la Révolution du 14 janvier. Ils exigent du gouvernement de prendre immédiatement toutes les mesures énergiques afin de dissuader, poursuivre et punir à force de loi, les auteurs de ces agissements criminels et mettre fin à cette escalade de la violence. Ils appellent la société civile à se mobiliser contre la violence et l'obscurantisme. Dans un communiqué signé par la première vice-présidente de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, Nadia Mechri, la LTDH considère que la multiplication des agressions des groupes salafistes présente une grave menace pour la sécurité et une atteinte à la suprématie de la loi qui garantit les droits et les libertés. Elle dénonce et s'élève énergiquement contre l'appel à l'assassinat de Jawhar Ben Mbarek. C'est un palier supérieur qu'ont osé franchir ces agresseurs éhontés des groupes salafistes. Elle refuse la logique de l'exclusion et de privation du droit élémentaire de s'unir, subie par différentes composantes de la société civile dans la région de Kébili. Les penseurs, créateurs et autres membres actifs de la société ont le droit d'exprimer leurs points de vue. Il inconcevable que les forces de l'ordre soient absentes. La LTDH appelle le pouvoir à agir efficacement, pour éviter la propagation des étincelles de la guerre civile, en créant un climat de paix permettant l'exercice des libertés. Youssef Seddik et Olfa Youssef « interdits » de conférence Par ailleurs, dimanche dernier à Kélibia, des jeunes de la même obédience salafiste, ont empêché la tenue d'une conférence des penseurs Youssef Seddik et Olfa Youssef. Olfa Youssef n'a pas fait le déplacement. Un groupe d'une quarantaine de «barbus», avait envahi l'espace culturel afin d'empêcher la tenue de ladite conférence. Ces individus avaient posé des serrures sur les portes du centre culturel et ont bloqué l'entrée par un bouclier humain, proférant des menaces d'agression physique. Youssef Seddik s'est vu obligé de tenir sa conférence à l'intérieur-même d'un bureau à la Maison de la culture de la ville. Le même scénario de la Faculté de La Manouba a été reproduit. Un drapeau noir a été hissé à côté du drapeau national, sous les appels « Allahou Akbar ». A quoi peut-on s'attendre lorsque des penseurs de la trempe de Youssef Seddik ne bénéficient pas du respect qui leur est dû ? Ceux qui n'ont pas voulu de lui à Kélibia, ont-ils pris la peine de lire un de ses articles ou écouté une de ses conférences ? L'Association de l'Action Civique de Kélibia (AACK) a entamé les formalités juridiques afin de déposer une plainte contre les salafistes auprès du procureur de la république au tribunal de première instance de Nabeul. L'association Kolna Tounes, dirigée par Emna Mnif a été la première à réagir. Elle s'interroge sur « l'éventuelle impunité dont bénéficient ces bandes, dans la mesure où elles se sont attaqué en janvier dernier à Zyed Krichen et à Hamadi Redissi et ont récidivé le 25 mars contre les gens du théâtre, appelé le jour même à la mort de l'ex-premier ministre, ainsi que de la communauté juive, en plus d'autres dépassements, sans qu'il n'y ait la moindre ordonnance d'enquête de la part du pouvoir ». Le Mouvement Kolna Tounes condamne ces violences de plus en plus fréquentes à travers la République et exprime son soutien aux militants ayant fait l'objet de ces agressions, ainsi qu'aux activistes de la société civile ayant subi de pareilles campagnes de dénigrement et de diffamation, allant jusqu'à porter atteinte à leur moralité, en usant d'une armée de mercenaires sur une certaine presse de caniveau. Par ailleurs, dimanche dernier, des individus, paraît-il, d'obédience salafiste, ont attaqué le local du Parti des Ouvriers Communiste de Tunisie (PCOT) à Eddahmani au gouvernorat du Kef. Les documents et les meubles ont été détruits, et ce suite à une manifestation organisée par ce parti, contre la cherté de la vie. Une question se pose : pourquoi Ennahdha n'a pas publié un communiqué dénonçant ces agressions perpétrées par des fanatiques à Kébili, Souk Lahad ou à Dahmani ? Est-ce qu'elle n'est plus concernée par les libertés publiques, maintenant qu'elle est au pouvoir ? Privilégier le dialogue avec les salafistes, serait-il un alibi pour un laisser-faire et laissez-passer qui en fait des hommes au dessus des lois ? Où est le sens de l'autorité de l'Etat ? Par ce silence, ne risque-t-on pas de semer les germes d'une guerre civile latente ? Mohsen Marzouk, directeur du Centre arabe pour la Démocratie et membre du directoire de l'initiative de Béji Caïd Essebsi, avait soumis à la Présidence de la République un projet de pacte anti- violence politique, pour faire face à la violence qui sévit dans notre société. Les différentes attaques contre les intellectuels, les journalistes et entre les différents adhérents des partis politiques, avaient motivé cette demande. Si le pays s'installe dans la violence politique, il faudra craindre le pire.