Rien n'y fait. On s'était dit comme ça que le retour du bleu du ciel pouvait être contagieux. Mais on a beau arborer fièrement ses lunettes de soleil, il suffit de se retrouver dans le noir, face aux images pour se rendre compte que le cinéma cette année à Cannes s'est définitivement choisi la grisaille et les nuages. La dépression collective des cinéastes est un phénomène sur lequel il faudrait se pencher sérieusement même si l'état du monde n'annonce rien de bon et ça on le sait depuis des années. Au-delà du désespoir patent, il se dégage des films de cette année comme une sidération, une impossibilité à agir. La mode est au constat clinique et froid. « Amour » de Haneke (un des plus sérieux candidats à la palme d'or), est peut-être l'exemple paradigmatique et probablement le plus raffiné du point de vue du cinéma de cette défaite de l'art face à la vie. Haneke n'a jamais été un rigolo, son cinéma oppressant et verrouillé s'est toujours décliné de cette manière et « Amour » ne fait pas exception. Mais voilà tout le monde n'est pas Haneke et un certain nombre de réalisateurs de la compétition dans leur volonté de ne pas se mouiller, nous servent un cinéma duquel on ressort à peine entrés. A l'autre extrémité du spectre, il y a cette année les faiseurs, pour qui le cinéma sert uniquement à bien torcher la forme et à raconter une histoire. Les Audiard, Garrone, Hillcoat et surtout la grande déception Andrew Dominik, chacun à sa manière pratique ce cinéma de l'artificialité et de l'esquive. Avec « The assassination of Jesse James » son premier long-métrage, Andrew Dominik avait fait une entrée fracassante dans la cour des grands, par la puissance de sa mise en scène et l'intelligence avec laquelle il a appréhendé le Western pour en subvertir les codes. Son second film en compétition officielle cette année, est décevant sur tous les plans. Produit par Brad Pitt et joué par Brad Pitt (Ceci n'étant pas un crime en soi), « Killing them softly » est un film de genre qui se veut décalé, quelque part situé entre l'humour noir des frères Coen et la virtuosité de Scorcese. A cela vient se greffer un zeste de didactique politique très premier degré sur l'Amérique qui n'est en fait qu'un gros business. A l'arrivée un film prétentieux, artificiel de bout en bout d'un élève appliqué, totalement englué dans une forme brillante mais tournant à vide, où Brad Pitt est on peut plus mauvais. La Palme de la grandiloquence didactique va à Leos Carax. Brillant réalisateur d'une première œuvre, « Mauvais sang » et d'un second long-métrage « Les amants du Pont neuf », Carax avait un peu déçu avec « Pola x ». Son dernier film « Holy Motors » présenté en compétition officielle confirme sa descente aux enfers entamée il y a déjà quelques années. Un film sur l'apocalypse du septième art, pesant et tarabiscoté au cours duquel Carax entreprend de revisiter l'histoire du cinéma et ses genres pour mieux en constater la mort. Roupillons garantis, même si à la sortie on criera au chef d'œuvre d'un grand cinéaste maudit et incompris. Heureusement que du côté du soleil des salles obscures, il y a encore Hong-Sang-Soo et Kiarostami… On y reviendra. De notre envoyé spécial : Ikbal Zalila