* La police se présente et demande l'«identikit» des participants Le mardi 29 mai au soir, plus de 120 personnes ont assisté à la quatrième séance de l'émission The New Arab Debates qui s'est déroulée à la Kasbah, au sein de l'Institut National du Patrimoine. Une émission qui a été animée, comme à l'accoutumée, par le célèbre animateur britannique Tim Sebastien. Le thème était «La violence politique» Autour du thème : «La violence politique en Tunisie», un public très hétéroclite devait participer au débat et dire son mot sur le sujet par le biais d'un vote électronique. Deux invités politiques étaient présents: Mme. Houda Chérif (Parti Républicain) et M. Ahmed Gaâloul (Parti Ennahdha) et devaient traiter de la question : Peut-on aujourd'hui parler de l'existence d'une violence politique en Tunisie ? Le modérateur et animateur anglais Tim Sebastien, habitué à animer des sujets très pointus et chauds était l'arbitre de cette quatrième séance de l'émission. Tout s'est déroulé comme sur des roulettes. Le débat a été animé, fructueux et saillant. Une kyrielle de questions étaient posées par un public assoiffé de la question de la violence politique. L'émission achevée, on plia bagage et on rentra plus serein et plus tranquille. Tim Sebastien parut, à la fin de l'émission, optimiste sur le devenir de la culture du dialogue et de la liberté d'expression en Tunisie. Or, coup de théâtre, 48 heures plus tard, indigné et terriblement désappointé, il annonce, lors d'une conférence de presse, hier, la suspension de l'émission en Tunisie. A notre arrivée à l'Institut National du Patrimoine, lieu qui abrita l'émission «The New Arab Debates», devant la porte, nous trouvâmes deux policiers. Leur tenue de travail l'annonçait. On pensait que c'était pour garantir la sécurité de l'équipe technique, du public et des invités politiques. A la fin de l'émission, les présents quittèrent les lieux et ne demeura sur place que l'équipe technique et l'animateur Tim Sebastien. Sans crier gare, deux hommes en tenue civile se présentèrent au secrétariat de l'émission et demandèrent à l'employé qui était sur place la liste des noms, les numéros et les adresses mails des participants... C'est lors d'une conférence de presse rendue publique, hier, que Tim Sebastien annonça son désappointement et surtout la suspension de l'émission The New Arab Debates. Il expliqua aux journalistes présents que sa décision est prise suite la visite inopinée et absurde de «deux agents de police en tenue civile et réclamant la liste des participants à la quatrième séance de l'émission qui a eu lieu le mardi 29 mai et à laquelle 120 personnes ont assisté.». Il ajouta « dépités, nous leur avons demandé de nous montrer leur cartes de services pour être sûrs quant à leur identité. Ils montrèrent leurs cartes, annoncèrent qu'ils font partie de la police de la Kasbah et qu'ils ne font qu'appliquer les ordres qu'ils ont reçus de leurs supérieurs !» M. Tim a ajouté qu'en vérifiant, il s'est rendu compte que «ces deux derniers avaient pénétré le hall intérieur de l'INP à peine 15 minutes après le début de l'enregistrement de l'émission-débat.». Suite à la demande de la liste des participants, l'employé qui s'occupait du secrétariat a refusé, dans un premier temps, d'obtempérer pour conserver le droit à l'anonymat des participants et a réussi tant bien que mal à déchirer la partie de la liste qui comportait les numéros de téléphone et les adresses mails du public. De son côté, Tim Sebastien a annoncé, hier, que suite à cet incident grave et qui constitue une menace à la liberté d'expression en Tunisie, qu'il a contacté le porte-parole du ministère de l'Intérieur et que ce dernier «médusé», ne sut quoi répondre mais qu'il y aura une enquête. Le dialogue est suspendu jusqu'à nouvel ordre Lors d'une interview donnée à Tim Sebastien, le jour-même de l'enregistrement de l'émission, il nous expliqua que le principe de «The New Arab Debates» est de promouvoir la culture du dialogue dans des pays qui ont vécu durant des décennies sous la dictature. Il a rajouté que le but de cette émission est, notamment, de «militer pour la liberté d'expression pour les médias et le simple citoyen. Ces débats constituent un exercice pour un peuple qui a toujours été privé de parole libre, de dialogues et de débats politiques. Notre présence parmi vous est, donc, pour apporter un soutien aux citoyens tunisiens en termes de droit humain et universel au libre arbitre et à la liberté d'expression, leur droit aussi à l'apprentissage de la culture du dialogue et du débat.» Tim Sebastien, qui, lors de notre interview, était optimiste et serein quant à l'instauration d'une culture de discours, se dit, désormais : «déçu par ces agissements qui présentent un véritable danger à la liberté d'expression en Tunisie. Je me vois, donc, dans l'obligation de suspendre l'émission, jusqu'à ce que le ministère de l'Intérieur nous explique le pourquoi de cette intrusion.» Il semblerait que la récréation est bel et bien terminée et que les vieilles habitudes reprennent le dessus. Les pratiques d'antan du ministère de l'Intérieur ressurgissent. Est-ce le sujet qui a poussé les «responsables» dudit ministère à mettre leur main dans la pâte ? Est-ce le score du vote qui a démasqué quelque part la défaillance de notre système sécuritaire et le manque de confiance qu'a le Tunisien en l'appareil policier dans la répression des violences et la maitrise des débordements des dernières semaines ? Effectivement, le thème de l'émission était très épineux et a soulevé beaucoup d'interrogations parmi les présents. La violence politique était au cœur des débats en huis clos dans la société tunisienne. The New Arab Debates en a fait un débat public ouvert à tous, indépendamment de l'appartenance politique, idéologique et théologique, afin que tout le monde ait l'opportunité d'étaler les secrets d'alcôve et percer les tabous pour garantir un meilleur échange public. Le débat était tel que les résultats du vote électronique ont complètement chamboulé avant et après le débat. Une preuve de plus que le débat respectueux et l'art de converser grâce à l'exemple et le contre-exemple, peut ouvrir cette boite de Pandore et libérer les maux qui tiraillent notre société. Si avant le début du débat, le score était de 41% du public étaient pour le sujet (le gouvernement n'arrive pas à maitriser la violence politique) contre 59% qui soutiennent qu'il n y a pas de violence politique ; les taux ont complètement été chamboulés à la fin de la séance. En effet, 83% ont voté pour le sujet et à peine 17% se disent toujours convaincus qu'il n'y a pas de violence politique et que même s'il en y a, le gouvernement réussit à la maitriser. Ceux qui se rendent à l'évidence que la violence politique et bel et bien évidente, surtout avec les derniers incidents de grabuges et d'agressions qui ont eu lieu, affirmaient, donc, qu'il y a une certaine défaillance dans notre système sécuritaire. Les résultats parlaient d'eux-mêmes. Le ministère de l'Intérieur n'a sûrement pas aimé voir cette vérité amère et atroce, véhiculée de plus, sur des chaînes étrangères... On préfèrerait peut-être laver notre sale linge en famille ou tromper le monde quitte à reprendre les pratiques d'antan. Chassez le naturel, il revient au galop. Avis du ministère de l'Intérieur Nous avons contacté le porte-parole du ministère de l'Intérieur qui nous assuré que l'enquête est en cours, tout en appelant à ne pas anticiper sur l'affaire. Effectivement, il nous a déclaré que les responsables n'ont contacté le ministère pour porter plainte, que 24 heures après que le présumé incident a eu lieu. Il a ajouté qu'il a contacté le directeur général et le gardien de l'Institut National du Patrimoine. Ces derniers ont assuré que durant l'enregistrement de l'émission, il n'y a avait pas d'intrus.