Depuis la Révolution, une espèce de peaupérisation est en train de prendre le pas sur les valeurs éthiques, sur les principes de citoyenneté et, pour tout dire, sur l'élan qu'ont certains hommes de se donner à fond dans le mécénat et le bénévolat. Qu'est-ce qui a poussé un Jamel Atrous vers cette opération suicidaire – la présidence du Club Africain – juste après la Révolution alors que tous les équilibres étaient chamboulés ? Par quelle motivation était mu un Hemayed lorsqu'il prit des rênes d'une Etoile du Sahel toujours en proie à un endémique déterminisme régional et toujours l'objet des désirs des éternels barons n'admettant guère que le Club sorte de leur giron ? Qu'est-ce qui retient chaque jour Moncef Sellami de démissionner, las d'être la victime expiatoire du gâchis financier d'un Club Sfaxien dépourvu de ressources parce que le système, aujourd'hui, fait que les hommes d'affaires sont diabolisés et que le sens de la solidarité et le mécénat sont devenus des termes malpropres à cause des détournements mercantilistes dont ils ont fait l'objet des temps de l'ancien régime ? Le fait est que, aujourd'hui, on s'emmêle allègrement les pinceaux, fustigeant les présidents de clubs et en voulant aux joueurs dont on oublie qu'ils sont des professionnels et qu'ils ne vivent, l'espace d'une carrière destinée fatalement à la précarité, que de leurs émoluments. Tarek Dhiab le disait la dernière fois : « le dépérissement des clubs, à commencer par les grands, sonnera le glas pour le football, pour le sport et pour la jeunesse » ! Dans ce contexte où la violence dans les stades est instrumentalisée à d'autres fins, l'implication dans la survie des clubs est un véritable sacerdoce. C'est la croix et la bannière. Il y a quelques semaines, nous publions le chiffre (11 millions de dinars) qu'a consenti Hamdi Meddeb de sa poche pour préserver les équilibres d'une machine aussi lourde qu'est l'Espérance. De surcroît il a placé le club dans une trajectoire ambitieuse et son entente avec cet enfant terrible qu'est Maâloul a permis à l'Espérance de réaliser le grand Chelem. Par la suite, il y a cette cassure, avec un Decastel incapable de tenir le gouvernail, et c'est ainsi que, par la plus logique des évidences géométriques, Meddeb et Maâloul redéclenchaient le processus. Normal donc qu'il y ait des investissements, parce qu'il y a des départs. Car en aucun cas l'Espérance, pas plus que les autres grands clubs, ne doivent socialement, politiquement et sociologiquement déraper. Une Espérance ambitieuse et stable est elle aussi garante d'équilibres sociaux. Car finalement, ça ne change pas depuis la nuit des temps : le football est l'elixir suprême de la politique. Raouf KHALSI