Entre ce 10 juin 2012 et le 10 juin 1990, 22 ans sont déjà passés. A cette date du siècle dernier, une liste indépendante appelée « la liste mielleuse » a remporté les élections municipales avec 58,5% des voix exprimées et a eu droit à 13 sièges contre 3 sièges accordés au RCD qui n'avait ramassé que 41,5%. Pourquoi faut-il rappeler cette date qui semble, a priori, lointaine et déjà dépassée par la succession rapide des événements ?
En premier lieu, c'est l'occasion de rappeler aux jeunes que cette expérience s'inscrivait dans le cadre du combat, livré contre Ben Ali et ses vassaux. De toute évidence, les photos qui immortalisent l'événement historique révèlent à quel point la population mobilisée ce 10 juin 1990 rejetait le RCD qui s'était greffé sur le parti destourien déjà honni. C'était comparable aux événements du tramway, de Jallaz, à la révolution des Karamita ou à la prise de la Bastille. Mais c'était un mouvement conscient dirigé par un front démocratique hyper-politisé et soutenu par la plupart des habitants de la ville. En fait, selon ses artisans, bien qu'elle soit axée sur des enjeux locaux, cette initiative visait à occuper l'espace public et exploiter les marges encore disponibles avant le processus de verrouillage entamé par le président Ben Ali et ses illustres conseillers formés des loups de l'UGTT, du PSD et de la nébuleuse gauchiste assoiffée de pouvoir et de prestige et qui a accouru pour prêter main forte à « l'artisan du 7 novembre » dans sa lutte contre l'intégrisme religieux.
L'autre leçon permet d'apprendre que la liste majoritaire a été tellement harcelée par la police et par les différentes administrations qu'elle a fini le mandat en queue de poisson et que son unité a cédé à la pression. Du coup, un groupe s'est laissé tomber dans le giron du RCD ; l'autre groupe minoritaire est resté fidèle à la ligne initiale du mouvement malgré la souffrance due aux tentatives qui visent à le récupérer ou à le mettre en quarantaine. En vérité, l'intimidation et les différentes formes de privation ne se sont pas limitées aux conseillers, elles se sont étendues à nos supporters qui constituaient le vecteur de la réussite de l'opposition. Par exemple, quand une personne demandait à être embauché ou à bénéficier d'un droit on lui répondait : « Adresse-toi à la liste mielleuse. » Alors c'était un véritable supplice, car faute de moyens ou de gardes fous à notre portée, on ne pouvait rien faire en faveur de la personne lésée. Dans ce contexte, l'anecdote la plus sarcastique porte sur un chauffeur de louage qu'on a privé du certificat professionnel jusqu'au 17 janvier 2011. A cette date, c'était le gouverneur lui-même qui lui a téléphoné pour lui annoncer la bonne nouvelle. Au surplus, le pouvoir a pris cette municipalité en otage parce que celle-ci était l'unique à cause du boycottage décidé par l'opposition légale alignée, à l'époque, derrière le MDS. En fait si l'opposition avait participé aux élections locales avec des enjeux locaux, toutes les municipalités auraient été conquises, et les questions locales auraient été susceptibles d'être étendues à leurs dimensions nationales. Dès lors, le pouvoir en place aurait été ligoté par le souffle démocratique retranché partout à travers le pays. Or, une dynamique nouvelle a été bousillée ; d'où la facilité de cadenasser le pays de long en large et de le piller sous les éclats aveuglants d'un faux discours « humaniste ».
Enfin, malgré les tentatives visant à agenouiller ses habitants, La Chebba est restée un hérisson dans la gorge du pouvoir jusqu'à l'agonie de ses principaux piliers. A titre d'exemple, le 09 mai 2010, il a été mis à nu lorsqu'il avait été obligé de falsifier les résultats des « élections » municipales de la Chebba, de les mouler et de les aligner sur le reste de la république, en changeant les PV à l'aube du lendemain.